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par Antoine Champagne - kitetoa

NEPAL : Est-ce ainsi que les femmes vivent ?

Ce reportage a été réalisé par Marie Dorigny. Elle a travaillé toute sa vie de reporter sur le travail des enfants, les violences faites aux femmes, la traite des êtres humains. Cette fois, elle s'est penchée sur la vie des femmes au Népal. Un pays dont on parle ces jours-ci pour évoquer le sort des Népalais au Qatar où, semi esclaves, ils construisent les stades de la coupe du monde de foot. Et en meurent. L'afflux des Népalais au Qatar a bien entendu une cause. Celle-ci se trouve au Népal.

Ce reportage a été réalisé par Marie Dorigny. Elle a travaillé toute sa vie de reporter sur le travail des enfants, les violences faites aux femmes, la traite des êtres humains. Cette fois, elle s'est penchée sur la vie des femmes au Népal. Un pays dont on parle ces jours-ci pour évoquer le sort des Népalais au Qatar où, semi esclaves, ils construisent les stades de la coupe du monde de foot. Et en meurent. L'afflux des Népalais au Qatar a bien entendu une cause. Celle-ci se trouve au Népal. Leur émigration massive a aussi des conséquences dans leur pays d'origine. C'est tout cela que vous allez comprendre en visionnant les photos de Marie Dorigny et en lisant leurs légendes.


 

Est-ce ainsi que les femmes vivent ?

Dans l’ancien royaume himalayen, les femmes sont devenues les premières victimes de la pauvreté et de la violence qui ont explosé depuis la fin de la guerre civile. Le suicide est  désormais la première cause de mortalité chez les jeunes Népalaises.

Avril 2006, la monarchie qui dirigeait le Népal depuis plus de deux cents ans tombe. Un gouvernement de coalition républicain prend la suite, avec à sa tête ces mêmes maoïstes qui avaient déclenché une guerre civile de dix ans. Avec les accords de paix et l’arrivée d’une nouvelle classe politique, le pays tout entier reprend espoir.

Las, sept ans plus tard, le Népal -et tout particulièrement sa capitale Katmandou- vit une situation encore plus cauchemardesque que la précédente. Les gouvernements successifs ont échoué à mettre en place un modèle de développement économique durable. Privé de ressources naturelles, dépourvu de toute industrie, en butte à l’augmentation mondiale des matières premières, le Népal survit tout juste grâce à l’argent de sa diaspora et à l’aide internationale. La corruption est générale, l’Etat démissionnaire. Le pays tout entier est suspendu à la tenue de nouvelles élections, sans cesse reportées. Tout comme la rédaction d’une nouvelle Constitution.

Les conditions de vie se sont terriblement dégradées, en particulier pour les paysans. Désespérés de voir leur sort s’améliorer un jour, ils ont entamé un vaste mouvement d’exode, vers la capitale mais aussi l’Inde ou les pays du Golfe. Les villages se vident.

Une migration accentuée par les épisodes de famine qui se répètent de plus en plus fréquemment dans les zones rurales, en raison des changements climatiques dans cette région himalayenne. Les faubourgs de Katmandou explosent sous la pression démographique. Inconnus jusqu’alors, les bidonvilles se multiplient et accueillent désormais des milliers de familles totalement démunies qui doivent développer de nouvelles stratégies de survie.

Premières victimes de ces bouleversements, les femmes et les jeunes filles, qui subissent  des abus de toutes sortes. Les violences domestiques, traditionnellement présentes dans la société népalaise, ont explosé, du fait de la misère et du chômage. L’alcool fait des ravages.

Dans les villages désertés par les hommes partis à l’étranger, les femmes livrées à elles-mêmes et  confrontées à une pauvreté grandissante, constituent des proies de choix. Déjà objets, de longue date, de trafics vers les bordels indiens, elles sont désormais des milliers à vendre leur corps dans les bars et dancings de la capitale, alors que la prostitution y était jusqu’alors quasi inexistante. Une nouvelle source d’inquiétude pour les ONG qui craignent que le Népal devienne la prochaine destination phare pour le tourisme sexuel.

Dans le même temps, les avortements sélectifs, pratiqués sur les fœtus féminins, ont fait leur apparition. Un effet pervers de l’arrivée dans le pays des techniques modernes d’échographie.

Un fait résume désormais l’ampleur de la détresse des femmes népalaises : le suicide est devenu, depuis 2010, la première cause de mortalité dans la classe d’âge 15-49 ans.

Confrontés à tant d’urgences, le gouvernement et la société civile s’organisent. Volontaires népalais et travailleurs humanitaires étrangers, soutenus par certains membres de l’ancienne famille royale, tâchent d’enrayer cet enchaînement fatidique en multipliant les programmes d’assistance, de prévention et de développement : alphabétisation des mères, soins médicaux, refuges pour femmes battues ou trafiquées, aide alimentaire d’urgence et aides à l’insertion économique dans les villages… Le gouvernement a même mis en place des brigades de policières spécialisées dans la lutte contre les violences faîtes aux femmes.

Marie Dorigny

Ce reportage n’aurait jamais pu voir le jour sans l’aide précieuse et le soutien des associations et organisations suivantes : Planète Enfants, Médecins du Monde France, Oxfam, Saathi, Burn Violence Survivors, CAP Nepal, Shakti Samuha, Prisoner’s Assistance Nepal (PA Nepal), Bakward Society Education (BASE), Step Nepal, Included, Women Cell of Police

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Entretien avec Marie Dorigny, auteure du reportage :

-  Pourquoi ce reportage sur le Népal ?

Cela fait vingt ans que j’y vais et je suis consciente de la situation difficile des femmes népalaises. Je voulais depuis longtemps travailler sur cette problématique. Par ailleurs, je connais  depuis plus de dix ans l’association française Planète Enfants qui travaille au Népal sur ces problèmes de violences contre les femmes et les enfants. En discutant avec eux l’année dernière, ils m’ont expliqué combien la situation s’était détériorée pour les femmes et ça m’a donné l’idée de lancer enfin ce projet.

-  On découvre, dans ton reportage, que les femmes sont particulièrement mal traitées dans ce pays, comme dans tant d’autres. Quel que soit le pays, la religion, ce sont souvent les femmes qui trinquent. Tu as travaillé sur ce sujet pendant de nombreuses années. Peux-tu nous donner ton sentiment : pourquoi cet état de fait ?

Je me pose toujours cette question après toutes ces années et je ne m’explique toujours pas cette haine des femmes qui semble être assez universelle. Depuis plus de vingt ans, je suis témoin d’actes d’une rare violence commis contre les femmes et du mépris que les hommes peuvent leur porter. Cette haine et cette colère poussent les hommes jusqu’à vouloir les détruire, quand, par exemple, ils mettent le feu à une femme. Qu’est-ce qui les pousse à faire cela ? Souvent la vie d’une femme n’a pas de valeur. Elle ne vaut rien, on peut en disposer à sa guise, on peut la détruire, l’échanger, la battre, la violer, la brûler, sans véritable risque de poursuites.  Il y a des facteurs culturels, religieux, des traditions qui sous-tendent ces actes. Les contextes de crise politique et/ou économique, les situations de conflit jouent également. Cela n’évolue que très lentement et parfois, il y a même des retours en arrière. Regardez ce qui se passe en Espagne avec l’IVG. Des acquis sont en train de reculer. En France ou aux Etats-Unis aussi, l’accès à l’IVG est de plus en plus compliqué. Les viols et les violences conjugales, chez nous, ne reculent pas.

-  Marie, peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Je suis une photo-reporter. Trente ans de carte de presse derrière moi.  Je travaille depuis de nombreuses années sur les violations des droits de l’Homme, la traite et l’exploitation des êtres humains. Mais aussi sur la condition des femmes.

Mes reportages ont été publiés dans la presse nationale et internationale : National Geographic, GEO, Life, Stern, The Independent.

J’ai également publié quelques livres, toujours sur ces sujets, comme « Enfants de l’ombre », aux éditions Marval, « Cachemire, le paradis oublié », aux éditions du Chêne, « L’inde invisible », aux éditions CDP.

Le travail au Népal que Reflets publie a été réalisé grâce à la bourse du Festival photo-reporter en baie de Saint-Brieux et a reçu le prix Press’tiv@l de Château-Gontier.

Le prochain reportage portera sur l’accaparement des terres dans le monde. Le projet est lauréat 2014 de la bourse de l’Agence française de développement.

-  Photographe/Grand reporter, ça fait rêver comme métier…

Plus beaucoup et plus grand monde ;)

A l’heure où tout le monde a un téléphone pour faire une photo, tout le monde se définit ou est défini comme photographe.

Et dans le même temps la profession s’est précarisée notamment en raison de la crise  de la presse.

C’est un métier avec lequel il devient difficile de gagner sa vie et de se faire une place.

Les photo-reporters ne peuvent plus vivre uniquement de la presse et doivent trouver d'autres formes de financement. Heureusement il y a beaucoup de prix et de bourses qui pallient la défaillance de la presse. Celle-ci devrait réfléchir à l’impact final de son retrait dans ce domaine. Si nous voulons une presse de qualité, il faut une information de qualité et le photo-reportage est l'un des garants de cette qualité.

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