Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Merci M. Excel d'avoir si bien précarisé le métier de journaliste...

Fort heureusement, la presse est une sorte de contre-pouvoir et quand les gouvernements ou des dirigeants peu scrupuleux ont tendance à jouer avec le droit du travail, elle est là, sur son cheval blanc, prête à défendre la veuve et l'orphelin.Les exemples sont nombreux. Ici, chez Libération, là chez Le Point ou encore ici sur le site du Monde.

Fort heureusement, la presse est une sorte de contre-pouvoir et quand les gouvernements ou des dirigeants peu scrupuleux ont tendance à jouer avec le droit du travail, elle est là, sur son cheval blanc, prête à défendre la veuve et l'orphelin.Les exemples sont nombreux. Ici, chez Libération, là chez Le Point ou encore ici sur le site du Monde.

Mais de là regarder ce qu'elle même fait en termes de "rationalisation des effectifs", de précarisation, de recours aux stagiaires, aux petites mains esclaves, aux salaires balancés avec un lance-pierre par des pinces de première bourre, il n'y a plus personne.

Les plus vieux doivent se dire "comment en est-on arrivé là" et les plus jeunes, "est-ce que ça a toujours été comme ça ?".

La situation actuelle est terrible. Les rédactions ont été réduites au delà du raisonnable. Chaque journaliste est tenu d'être "pluri-media". Il doit savoir enregistrer et monter un son, des images, écrire un article pour le support papier et un autre pour le site Web, moins long, mais différent. Les journalistes doivent désormais cumuler plusieurs métiers qui étaient auparavant bien distincts. On leur demande désormais de faire la mise en forme eux-même (les secrétaires de rédaction sont une espèce en voie de disparition) dans des maquettes préfabriquées. On leur demande désormais de corriger eux-mêmes leurs fautes de français ou d'orthographe et du coup, adieu les correcteurs qui permettaient aux journaux d'avoir un niveau de français parfait, d'homogénéiser les articles. Un correcteur chaque jour au Monde.fr pour relire tout ce qui s'y publie... Pour les plus vieux d'entre nous, c'est aberrant. Pour les messieurs Excel qui dirigent désormais les entreprises de presse, c'est sans doute déjà trop.

Comment peut-on espérer produire des articles à valeur ajoutée lorsque l'immédiateté est privilégiée par dessus tout, qu'il y a de moins en moins de journalistes spécialisés (il faut savoir tout faire), que les services de documentation ont quasiment disparu des journaux.. On en passe.

Avec la fin des patrons de presse et le rachat de tous les titres par des patrons d'industrie, sont arrivés à la tête des journaux des messieurs Excel. Ils ont pris le pouvoir. Tout le pouvoir. Voyez-vous, une entreprise de presse est particulière. Elle a deux têtes. Un patron qui tient les cordons de la bourse, supervise tout le bousin (abonnements, pub, paye, etc.) et un autre qui dirige les journalistes. Ce dernier, le directeur de la rédaction, avait, par le passé, un fort pouvoir au sein de l'entreprise et sa voix était écoutée par l'actionnaire. C'est de moins en moins le cas. Les messieurs Excel ont pris le pas. Ils rabotent partout, tout ce qu'ils peuvent. Et surtout, ils mettent dans des cases ce qui ne peut pas l'être. Souvent, ils sont aidés pour cette tâche par les directeurs des rédactions, ce qui n'aurait pas été le cas il y a vingt ans.

Prenons un exemple vécu. Il y a des années, détaché de la rédaction pendant deux ans, je travaillais en binôme avec le patron qui tenait les cordons de la bourse. Un jour, il m'annonce fièrement avoir compté le nombre de feuillets (un feuillet = 1500 signes) écrits par chaque journaliste de la rédaction durant les quinze jours écoulés. Il pensait avoir une vision claire de la "productivité" de chaque journaliste. Je lui ai rétorqué qu'il était sans doute préférable qu'un journaliste n'écrive rien pendant 15 jours et sorte un scoop sur deux feuillets plutôt que de le voir pondre 30.000 signes de brèves copiées/collées de l'AFP chaque jour. Plus ouvert que les patrons d'aujourd'hui, il a très bien compris ce que je lui expliquais.

Aujourd'hui, les messieurs Excel privilégient l'usage intensif de pigistes qui sont dans une situation particulièrement précaire. Ils sont remplaçables, leur armée étant infinie, ils sont sous-payés et ne coûtent pas cher à l'entreprise, contrairement à un journaliste embauché.

Le pigiste, qui doit être un VRP de ses propres sujets (c'est très lassant) est généralement mal considéré par ses collègues en place dans la rédaction. En outre, il doit se plier à tous les désirs de la rédaction et fournir ce qu'on lui demande. Sans quoi, pas de sujet vendu, pas de sous.

Si monsieur le baron veut bien se donner la peine...

Si les journalistes se sont grandement précarisés, à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur des rédactions, il y a une petite partie d'entre eux, qui ne se précarisent pas et qui ne se précariseront pas : les barons. Où que l'on porte son regard, il finit toujours par tomber sur des 99 et... des 1%...

Le 0,1% du 1%  a été au centre de plusieurs articles ces derniers temps. Ils sont les "commentateurs" multi-casquettes, les "éditocrates", présents sur toutes es antennes de télévision, dans toutes les radios, dans tous les salons, y compris les cercles très fermés où ils côtoient les grands patrons d'industrie, les grands banquiers, avec un mélange des genres assez pervers.

D'autant que ce qu'ils ne semblent pas percevoir, c'est que ce 1% là, qu'ils fréquentent, les considère comme des chiens de paille.

Ces barons du journalisme savent tout sur tout. Ils ont un avis sur chaque chose et peuvent le donner à la moindre demande d'un confrère en mal d'illustration d'un sujet.

Ils peuvent faire un éditorial sur Nietzsche le lundi, sur les effets du quantitative easing de la Fed le mardi, sur la fonte des glaces le mercredi, sur le Boson de Higgs le jeudi, sur les petits secrets politiques du président socialiste ET sur ceux du patron de l'UMP le vendredi, sur le "bug" de Facebook le samedi et... Le dimanche ? Non, le dimanche ils ne se reposent pas, comme ce flemmard de Dieu. Eux, ils vous pondent un ou deux feuillets sur le salafisme dans l'Islam, la chrétienté menacée et le judaïsme pris en otage au milieu.

Ces barons ne sont pas précarisés, merci pour eux. Les messieurs Excel les ont "oubliés" dans leurs coupes. En revanche, ils refusent de dévoiler leurs salaires. Eh, Oh, on a encore le droit à un peu de vie privée dans ce pays, non ?

Ce qui est étrange, c'est que ces barons sont là depuis votre naissance. Dans leur grande majorité.

Vous les avez toujours connus. Depuis tout petits, vous voyez leurs têtes, entendez leur voix doucereuses ou accusatrices. Ils font partie du paysage et n'en disparaîtront que le jour de leur mort.

Le souci de cette baronnie, c'est qu'elle dirige les grands media. Mais pas en toute transparence, ni en toute indépendance.

Dans son édition du 29 juin 2011, le Canard Enchaîné révélait que le gratin de la presse française bronzait aux frais de Ben Ali lorsque celui-ci dirigeait la Tunisie. Et de citer Michel Schifres (Figaro), Etienne Mougeotte (Le Figaro), Jean-Claude Dassier (LCI), Nicolas de Tavernost (M6), Christian de Villeneuve (Paris-Match, JDD), Dominique de Montvalon (Le Parisien), Alain Weil (RMC BFM TV), François Laborde (France 2).

Dans le temps, les journaux américains refusaient d'envoyer un journaliste sur un événement si le déplacement était payé par l'organisateur. La démarche étant strictement inverse de celle de la plupart des rédactions françaises...

Ce genre d'état d'esprit ne peut mener qu'à de dramatiques compromissions nuisant à la sincérité de l'information transmise aux lecteurs/auditeurs/téléspectateurs.

Mais ce n'est pas demain la veille que les 99% des rédactions ou que les 100% des lecteurs feront la révolution. Les barons sont tranquilles.

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