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par Antoine Champagne - kitetoa

Méditons sur la mise en examen de l'ancien patron de France Telecom, Didier Lombard

L'AFP nous l'apprend, la mise en examen de Didier Lombard, ex-PDG du groupe France Télécom pour harcèlement moral n'est pas anodine. Ce n'est pas parce qu'il a emmerdé un ou une salariée en particulier, non, non, c'est parce qu'il a (semble-t-il, mais la présomption d’innocence, toussa....) pourri la vie de milliers de salariés, au point que 35 d'entre eux ont visiblement préféré la mort à une vie pareille.

L'AFP nous l'apprend, la mise en examen de Didier Lombard, ex-PDG du groupe France Télécom pour harcèlement moral n'est pas anodine. Ce n'est pas parce qu'il a emmerdé un ou une salariée en particulier, non, non, c'est parce qu'il a (semble-t-il, mais la présomption d’innocence, toussa....) pourri la vie de milliers de salariés, au point que 35 d'entre eux ont visiblement préféré la mort à une vie pareille.

Prenons quelques instants pour deviser sur cette information intéressante et partons du texte de l'AFP :

L'ex-PDG de France Télécom, Didier Lombard, a étémis en examen, mercredi 4 juillet, pour "harcèlement moral" après le suicide de 35 salariés entre 2008 et 2009. Vendredi 6 juillet, c'est l'entreprise qui pourrait être mise en examen à son tour. Des décisions inédites, selon des juristes, dans la mesure où les précédents dossiers au pénal n'étaient pas liés à un "harcèlement managérial collectif" des salariés, mais à un harcèlement individuel.

Le harcèlement managérial collectif... Voilà un concept intéressant. Lorsque nos concitoyens (souvent de droite) évoquent la crise, ils ont une fâcheuse tendance à évoquer les salauds de fonctionnaires (il faut diviser leur nombre par -au moins- deux), leur propension à faire grève parce qu'ils ont "la sécurité de l'emploi" (indue bien entendu), etc. Ils oublient de mentionner que les jours de grève ne sont généralement pas payés. Ils évoquent le manque de productivité des salariés français, ce qui est complètement faux puisqu'elle est parmi les plus élevées en Europe. Ils évoquent le coût du travail (aaaah, la pression fiscale) qui ferait d'ailleurs fuir les investisseurs. Sauf que la France est l'un des pays qui attire le plus les investisseurs étrangers. C'est donc que quelque part, ceux-ci s'y retrouvent... Ils évoquent ces connards d'énarques (forcément... Les gens éduqués et intelligents ne peuvent être que des connards, sinon, c'est mauvais pour l'ego).

Jamais ils ne parlent de l'incompétence des dirigeants d'entreprises. Et pourtant, des incompétents, il y en a dans tous les secteurs. Même chez les dirigeants d'entreprises.

Comme nous somme dans une série sur la presse, on va en reparler un petit peu. Il y a quelques jours, j'ai eu un échange avec un journaliste du Figaro, sur Twitter. Il expliquait que le syndicat du Livre (CGT) appelait à la grève dans la presse quotidienne, ce qui consistait à plomber un peu plus un secteur en difficulté et que le syndicat voulait, paradoxalement, protéger. Bref, leur démarche de gréviste rouge était conne.

Vu comme ça, ça se tient. Sauf que la paille, la poutre, toussa...

Explose ta presse

Le syndicat du Livre qui est particulièrement présent dans l'imprimerie et la distribution de la presse est un syndicat traditionnellement très fort. En ce sens que lorsqu'il décide d'une grève, elle est suivie et elle aboutit à un blocage total de la presse. Même si les journalistes ne sont pas en grève. Et cela énerve au plus haut point les patrons de presse. D'autant que pour virer un syndicaliste du Livre, c'est très compliqué. Cela implique des négociations sans fin.

En revanche, les équipes dirigeantes, qu'il s'agisse des directeurs de rédactions ou des PDGs d'entreprises de presse se remettent rarement en cause. Quoi ? Le nombre de lecteurs, d'auditeurs, de téléspectateurs baisse régulièrement depuis des années et des années ? La faute au méchant Internet. Point. Solution ? Remonter le prix de vente pour éviter de continuer à perdre de l'argent. Baisser la pagination. Réduire la taille des articles. Réduire le nombre de journalistes. Leur demander d'être pluri-media : faire un article pour le journal, le même en plus court pour le Web, enregistrer et monter des sons et des vidéos. Mais aussi, mettre en forme leurs articles dans le système d'information, ce qui permet de supprimer des postes de secrétaires de rédaction. Ah, oui, penser à virer les correcteurs, l'orthographe et la grammaire, on s'en cogne. Et surtout, ne pas oublier de virer les documentalistes, parce que la mise en perspective des sujets, ça ne sert à rien. Une information chasse l'autre, n'est-ce pas ?

Il y a aussi la pub... Le marché de la pub n'est plus ce qu'il était et celle qui est affichée sur le Net est moins rentable que celle qui peuple les pages des journaux papier... A aucun moment les patrons de presse n'ont engagé une réflexion du genre : si le Canard Enchaîné arrive à vivre aussi bien (il gagne beaucoup d'argent, contrairement aux autres journaux) sans pub, peut-être que nous pourrions en faire de même. Ce qui ne serait pas mauvais en termes d'indépendance par exemple.

Non, réfléchir sur l'échec de ses stratégies, ce n'est pas une qualité très répandue dans la presse. Mieux vaut continuer à l'exploser, la presse. Et à demander l'aide de l'Etat pour la faire survivre. Ainsi que de bénéficier des flux des grandes entreprises industrielles, soit par la pub, soit au niveau de l’actionnariat. C'est bon pour l'image de la presse. Les lecteurs apprécient. Leur confiance dans les journalistes continue de baisser année après année. De même, à force de recourir systématiquement aux pigistes et aux stagiaires, qui n'ont pas le loisir de se spécialiser sur un sujet, principalement en raison des politiques déterminées par l'encadrement (économies, économies), les erreurs se multiplient dans les articles. Et les lecteurs les notent. Si, si, ça se voit. In fine le public fuit une presse décrédibilisée.

Les méthodes de management dans la presse ne diffèrent pas beaucoup de celles employées dans le reste de l'économie. La pression croissante, chacun devant faire chaque jour plus, avec moins de moyens, aboutit à une destruction systématique de l'outil de travail. C'est plus soft qu'ailleurs (France Télécom par exemple), mais le résultat est le même.

Salauds de grévistes destructeurs d'entreprises

Chaque pouvoir devrait trouver face à lui un contre-pouvoir pour que le juste milieu soit trouvé. Dans les faits, il n'en est rien.

Nous l'avons vu, les responsables de journaux pestent à propos du syndicat du Livre. Il est puissant et ses grèves sont paralysantes. Trop de pouvoir ? Peut-être. Mais est-il disproportionné par rapport à celui dont disposent les patrons de presse qui s'évertuent à planter leurs journaux, à pressurer et réduire comme peau de chagrin les rédactions dont ils ont la responsabilité ? Pas certain.

Les journalistes, traditionnellement, se mobilisent peu. En période de crise, c'est pire. Chacun est accroché à son poste comme la moule à son rocher.

Les gens du Livre, eux, peuvent se permettre le luxe de la grève sans trop de risques. Il est donc heureux qu'ils puissent exercer un droit reconnu par la loi : le droit de grève. Et même s'ils ne sont pas des anges et si leur solidarité avec les journalistes est proche de zéro, il est essentiel qu'ils puissent, de temps en temps faire office de contre-pouvoir.

De la même manière, combien sont-ils à pester contre ces salauds (forcément) de fonctionnaires lorsque ceux-ci se mettent en grève, que les transports en commun s'arrêtent ? On les "prend en otage" entend-t-on. Vraiment ? Ils ont une arme sur la tempe et ne peuvent plus rentrer chez eux ? Avec aucune perspective sur le moment où ils seront relâchés ? Ils risquent de mourir ?

Les salauds de fonctionnaire font grève pour leur retraite, par exemple. Pour le droit à en bénéficier. Et au passage, même si ce n'est pas leur intention initiale, ils font pression sur les gouvernements pour que ce droit s'applique aussi aux salariés du privé qui eux, ont plus de mal à se mettre en grève. Les "pris en otage" vont donc bénéficier des actions des salauds de fonctionnaires. Merci qui ?

Pour en revenir à Didier Lombard, les politiques (généralement de droite) sont plus prompts à accabler les salariés ou les fonctionnaires pour l'échec des entreprises dans un contexte mondialisé qu'ils ont eux-même contribué à mettre en place et qui est l'une des raisons de ces échecs, que de questionner la gestion des dirigeants de boites. Ces derniers sont eux, prompts à critiquer les politiques (surtout de gauche, même s'ils sont rarement au pouvoir) pour leur supposée responsabilité en termes de non "flexibilité" du marché du travail, de "pression fiscale" paralysante, que sais-je ? Ils accablent également volontiers les salariés et les fonctionnaires incapables de comprendre la nécessaire "flexibilité". La flexibilité ou le chaos !

Merci messieurs... Mais si l'on changeait un peu... Si l'on vous appliquait la "flexibilité" que vous nous imposez depuis 30 ans ?  Et si, pour changer, on vous mettait une pression insurmontable pour que vous atteigniez les résultats escomptés (au pif +20% de bénéfices/an) ? Si l'on vous virait sans indemnités dès que vous vous plantez ? Si l'on vous imposait un reporting aux salariés sur votre activité précise chaque semaine ? Et puisque l'on vient sur ce terrain, et si... et si on vous imposait de travailler un nombre d'heures raisonnable en fonction de votre salaire ? Mettre fin par exemple à la multiplication des fonctions, des présences dans des conseils d'administration, bref, un cumul impossible à concilier avec la réalité, les journées ne faisant, aux dernières nouvelles que vingt-quatre heures...

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