Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Yovan Menkevick

Marisol, devine qui vient faire le djihad ce soir ?

En France, en 2014, l'information va vite. Très vite. L'info en continu permet presque de mater en "direct live" les morts ou les blessés de n'importe quel fait divers. Enfin, au moins les flaques de sang qui subsistent après le drame. Tout ça sans même avoir à bouger de son canapé (qui commence à être bien défoncé par les heures passées à subir de façon consentie le lavage de cerveau national).

En France, en 2014, l'information va vite. Très vite. L'info en continu permet presque de mater en "direct live" les morts ou les blessés de n'importe quel fait divers. Enfin, au moins les flaques de sang qui subsistent après le drame. Tout ça sans même avoir à bouger de son canapé (qui commence à être bien défoncé par les heures passées à subir de façon consentie le lavage de cerveau national). C'est chouette d'être au courant d'un peu tout, avec ces chaînes d'info continue : surtout pour suivre les faits divers les plus anxiogènes, avec plein de morceaux d'infos non-vérifiées dedans. Des types qui foncent dans la foule en hurlant Allahou Akbar, un drapeau de l'Etat islamique accroché à l'intérieur du véhicule, par exemple. Ah non, en fait il gueulait, mais on ne sait pas vraiment quoi. Le drapeau ? Oui, enfin, certains pensent que, non, en fait il n'y en avait pas, mais attendez…on me dit dans l'oreillette, qu'un autre terroriste a foncé dans la foule à Nantes cette fois-ci… Oui, ok,  n'y avait pas de drapeau dans le véhicule à Dijon, et le type était en pleine décompensation psy, parce qu'en fait il fait des séjours en psychiatrie depuis des années, et… attendez, le type de Nantes aussi était un cas psychiatrique…mais bon, allez coco, l'info n'attend pas.

Le saviez-vous ?

Pendant que super Manuel fait jouer ses mâchoires dans les médias frrrrrrançais, et est rapidement obligé de se reprendre sur le "conducteur fou" de Dijon qui n'est pas un djihadiste, mais que "quand même on n'a jamais été autant en danger avec le terrorisme en France", il y a des milliers de personnes — plus de 70 000 en 2010 pour être précis — qui sont internées en psychiatrie chaque année. Dans leur grande majorité, ce n'est pas pour une dépression qu'elles sont internées, les personnes, bien qu'il y en ait aussi pour ça, mais très souvent pour des pathologies de type "psychose". Bouffées délirantes, bipolarité (anciennement maniaco-dépression), schizophrénie…… Et que fait-on de ces personnes fragiles, affectées, malades, qui subissent des affres psychiques insupportables et qui ont grandement besoin d'aide ? On les bourre de cachets, on les attache dans des chambres d'isolement, on les laisse errer dans des couloirs. Et dès qu'on estime qu'elles sont "calmes", on les fout dehors, parce qu'il faut en prendre d'autres et que les places sont limitées. Les personnels soignants des HP français qui participent à ce non-soin n'ont pas franchement le choix, ne leur jetons pas la pierre — et la boucle est bouclée. Un chouette système de "santé mentale", non ? La France est restée au niveau de Vol au dessus d'un nid de coucou, sans que quiconque (ou presque) ne s'en préoccupe, et tout va bien ? Mais quel est donc le rapport avec notre terrorisme djihadiste, me direz-vous ? Il est hautement relié. Suivez le guide.

Le wahhabite est-il plus taré que le Témoin de Jéhova ?

Le djihad, c'est d'un côté un mot fourre-tout ultra anxiogène pour les occidentaux et une permission de faire n'importe quoi pour les troupes wahhabites issues du royaume pétrolier ami de la France, l'Arabie saoudite. Dans ce royaume, la religion musulmane est un peu spéciale. Pour faire une comparaison, c'est un peu comme si on avait un pays européen dirigée par les Témoins de Jéhova. Avec la loi des Témoins de Jéhova, les coutumes des Témoins de Jéhova, la nourriture, les règles, l'éducation, bref, chacun a compris le truc. Chez les wahhabites, la croyance islamique, comparée à l'islam classique (qu'il soit chiite ou sunnite) est à peu près aussi délirante qu'entre un Témoin de Jéhova et un catholique ou un protestant. D'un côté, on croit en Dieu, on a des rituels, et voilà. De l'autre, chez les Témoins ou les wahhabites, on croit à la fin du monde, à l'imminence d'un messie, d'un combat entre les forces du bien et du mal, et de la nécessité de s'infliger et d'infliger aux autres tout un tas d'interdits plus affreux les uns que les autres pour être raccord avec le Dieu tout-puissant. Mais pour le bien, hein. Les salafistes de Syrie sont issus du wahhabisme saoudien, et leur machin religieux a été inventé au XVIIIème siècle. Une secte, en gros. Avec beaucoup de pétrodollars.

Mais revenons au djihad. Il n'y a pas un djihad, mais quatre. Oui, c'est vrai tout le monde s'en fout la plupart du temps, que ce soient des musulmans ou des non-musulmans, mais c'est tout de même intéressant d'aller regarder les fondements de cette notion religieuse, parce qu'on comprend mieux ce qu'est l'islam, enfin pas vraiment puisque le djihad est une "option" de l'islam. Pas l'islam tel qu'on voudrait qu'il soit et qui justifierait d'égorger ou de torturer ses ennemis déclarés. Que l'on soit de n'importe quel bord d'ailleurs…

Donc, pour information, sans aller très loin, djihad signifie "s'efforcer", pour des expressions comme "faire un effort dans le chemin de Dieu", ce genre de choses. Et il n'y en a pas un de djihad, mais quatre. Un djihad par le cœur, un second par la langue, un par la main et le dernier…par l'épée (le seul qui est retenu visiblement, de nos jours). Le djihad n'a même pas de statut officiel dans le sunnisme, mais qui s'en soucie ? Le Coran indique(Cor. II, La vache : 190-191) que « Le chaos (fitna) est pire que la guerre. Tant qu'eux ne vous combattront pas dans l'enceinte sacrée, ne leur livrez pas la guerre (…)».  Ce qui change pas mal la donne quand les "djihadistes" de l'EI attaquent tout ce qui n'est pas comme eux pour se créer un territoire. Dans un monde normal, il serait intéressant que les abrutis qui partent pour la Syrie en croyant faire le djihad du "vrai islam" réalisent qu'ils ne font qu'une chose : participer à une entreprise guerrière totalement condamnable par la religion qu'ils croient défendre. Dans un monde normal…

Mais que se passe-t-il vraiment ?

Super Flanby, dit pépère, a décidé d'organiser une réunion interministérielle suite aux trois actes criminels "étranges" et concomitants qui viennent de se produire. Des actes de type "djihadiste". Le type qui a poignardé un policier à Tours en plein commissariat en criant Allahou Akbar était-il poussé par une "idéologie islamique" et pratiquant le "terrorisme personnel" (sic) comme l'explique savamment un criminologue psychiatre sur une chaîne de radio de service public (vers 6'50, ndlr) ? Voyons-voir un peu : terrorisme personnel. Quelle est cette nouvelle définition ? Ah oui, c'est en lien avec la nouvelle loi anti-terroriste : entreprise terroriste individuelle. Je suis une bande à moi tout seul comme le chantait Renaud il y a quelques décennies. Nous rentrons donc, politiquement, dans la dernière ligne droite de la société de surveillance et de contrôle, de type "démocratie représentative paranoïaque autoritaire, tendance pédonazi djihadiste avec torture de chatons et radicalisation propagandiste sur les zinternets".

Avec tout ça, comme n'importe qui, tout seul dans son coin, peut devenir un terroriste hyper dangereux — qui se radicalise en 30 minutes avec des idéologies islamistes diffusée sur l'internet pas civilisé — il n'y a plus qu'une seule solution : déclarer l'état d'urgence permanent avec mise sous surveillance de tous, sans préavis ni limite. On ne sait jamais…

Reviendons à la psychiatrie

Ce qui est drôle (sans l'être), c'est qu'un chef d'Etat, son premier ministre, décident de se réunir pour savoir "quoi faire", après des violences commises par des personnes malades, mais sans jamais parler de la maladie. En se questionnant, de façon publique, dans une vaste et profonde mayonnaise médiatico-politique sur la problématique des criminels isolés, de "terroristes islamistes individuels", de "concomitance troublante des actes" — tout en esquivant le fond de l'affaire, qui est celle des problèmes psychiatriques d'une partie importante de la population et des non-soins prodigués par le système de santé — que fait donc le gouvernement français ? Hum ? Personne pour répondre ? Il faut parler des islamistes qui plongent dans un délire d'ultra-violence après avoir entendu des voix, sans parler de ce qui sous-tend toute l'histoire, le fait d'entendre des voix ? Et que celui qui entend des voix il est scotché devant les chaînes d'info, comme le reste de la population ? Et qu'il voit les infos de façon concomitante ?

Le malaise général de cette population, qui craque psychologiquement sous les coups de boutoirs de la rigueur budgétaire et de la pression économique, managériale, technocratique, du vide de vie démocratique qui envahit tout l'espace, du manque de respect et de dignité des élites face aux difficultés du plus grand nombre, n'ont aucun intérêt ?

Si des personnes se mettent à passer à l'acte, que ce soit avec des morceaux de djihad dedans ou les reptiliens, il faut juste retenir l'aspect criminel ? Le fou qui passe à l'acte n'est plus désormais un malade, il est juste un criminel, comme il y a 100 ans ? On ne soigne plus les gens, on tente juste de les contenir ? Payer des personnels des services de l'Etat pour faire de la prévention des problèmes psychiatriques, ouvrir des centres de jour au lieu de les fermer aurait un peu plus de gueule que de chercher à empêcher les "terrorismes personnels", à la mode Sarkozy-Hortefeux-Guéant, non ?. En ayant à l'esprit que les schizophrènes, en proportion, sont moins criminels que les "sains d'esprits". Mais nous n'en sommes plus là, puisque ce sont désormais des terroristes islamistes en puissance, ou des "dérangés" qui foncent sur la foule. Le tout avec des envoyés spéciaux des chaînes d'infos continue qui commentent le néant du fait divers, le tout aspergé de rumeurs non vérifiées.

Chère Marisol Touraine, êtes-vous au courant que votre ministère est censé s'occuper aussi du secteur psychiatrique ? Savez-vous que les moyens d'accueil de ce secteur sont minables et abominables ? Qu'aucune politique de santé mentale sérieuse n'est en œuvre dans ce pays ? Allez, un effort, 70 000 personnes en souffrance psychique, c'est peut être plus intéressant qu'interdire les vapoteuses dans les lieux publics, non ?

P.S : Il faudrait aussi réfléchir aux 30% de personnes en prison qui sont des cas psychiatriques et devraient être soignées au lieu d'être enfermées. Ces gens sortent de prison encore plus fous qu'ils ne l'étaient en y entrant, et mériteraient d'être soignés. Même s'ils ont commis des délits ou des crimes, ce sont des malades, madame la Ministre. Parlez-en à votre collègue Garde des sceaux, ensemble vous pourriez réfléchir à une politique "de gauche" à ce sujet ? En dernier lieu, touchez un mot à pépère du phénomène de la "société de l'instant et du fait divers", des dangers sociaux du manque de projet politique, de la démocratie citoyenne et participative en carence et de la responsabilité politique quand un pays se met à aller massivement mal, psychologiquement parlant.

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