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Édito
par drapher

Maison solaire autonome : la rentabilité, une question absurde ?

Basculer vers l'autonomie énergétique est une démarche qui appelle de nombreuses questions. Ou affirmations. L'une des plus fréquentes est celle de la "rentabilité". "Si je passe au tout solaire, sans EDF, il me faudra 8 ans pour que ce soit rentable" est une phrase fréquemment entendue ou lue. Certains vont parler de 10 ans, 12 ans avant "rentabilité".

Basculer vers l'autonomie énergétique est une démarche qui appelle de nombreuses questions. Ou affirmations. L'une des plus fréquentes est celle de la "rentabilité". "Si je passe au tout solaire, sans EDF, il me faudra 8 ans pour que ce soit rentable" est une phrase fréquemment entendue ou lue. Certains vont parler de 10 ans, 12 ans avant "rentabilité". Le calcul effectué est assez simple : additionner sa note EDF sur un an, celle de l'installation solaire, et diviser cette dernière par le montant EDF. Le nombre qui en ressort  est censé correspondre aux années passées à payer EDF jusqu'à atteindre le montant de l'installation solaire. Lorsque l'échéance est atteinte, c'est un seuil où l'on commence à "gagner" de l'argent, ou tout du moins, en économiser. L'électricité deviendrait alors "gratuite". Pourtant, la démarche de l'autonomie énergétique ne fonctionne pas de cette manière. Particulièrement aujourd'hui.

Une époque particulière

Nous ne vivons pas en 1971, ni en 1979, ou encore en 1985, 99, ou même 2010. Toutes ces dates peuvent correspondre à des périodes bien particulières : celle où l'énergie nucléaire était à son apogée en France, celle de l'après choc pétrolier, des signatures d'accords financiers mondiaux, d'avant la catastrophe de Tchernobyl, d'avant la bulle Internet, du 11 septembre —et plus encore, d'avant la catastrophe de Fukushima. L'énergie électrique nucléaire, le pétrole ou le gaz coûtent de plus en plus cher. Leurs limites ont été atteintes, et surtout, sont connues. La compétition mondiale pour l'énergie s'est transformée en guerre pour l'énergie, avec des morts et beaucoup d'enjeux qui affectent durablement les populations d'un point de vue économique, celles des pays riches comprises, peu habituées  à se priver.

Le prix de l'essence ou du gasoil ne baissera pas. Tous les indicateurs économiques mondiaux le démontrent : nous sommes définitivement entrés dans une ère du pétrole cher. L'électricité nucléaire suit le même schéma, mais pour d'autres raisons : Fukushima a obligé, à juste titre, à un renforcement de la sécurité du parc nucléaire, avec des investissements très coûteux à la clef. Les centrales sont vieillissantes, et leur démantèlement est lui aussi très onéreux. En construire de nouvelles est une gageure technologique que le chantier de l'EPR de Flamanville souligne clairement, avec un triplement du prix initial de l'ouvrage. Le prix du Kwh domestique a augmenté de 30% en 6 ans. Les projections pour les 5 ans à venir indiquent une augmentation comparable, sinon plus importante. En cause ? La nécessité de rémunérer les actionnaires ou investisseurs, cumulée à un coût de  maintenance et de sécurisation des centrales de plus en plus élevé. Avec des inquiétudes importantes quant à des scénarios de sécheresse trop fortes ou des hivers trop froids qui pourraient mener à des black-out régionaux en France, selon un rapport de RTE en 2013. L'époque est donc très particulière, et questionner l'autonomie individuelle solaire en termes du seul calcul de rentabilité financière semble un peu limité. Ce questionnement serait possible si nous étions à une autre époque, avec une progression normale des prix et des salaires, des enjeux énergétiques moins forts, de prix des infrastructures facilement finançables, d'une géopolitique moins complexe, d'une démographie plus douce, d'une économie mondiale moins agressive. Mais ce n'est pas le cas. Nous ne sommes pas en 1971…

Autonomie électrique : juste pour éviter les factures ?

Croire que l'autonomie électrique d'un habitat est seulement pour son propriétaire une manière d'éviter de payer des factures EDF procède d'une vision très étroite du sujet. Tout comme laisser croire qu'on participe à "sauver la planète" en produisant soi-même son électricité solaire. L'autonomie énergétique est avant toute chose une démarche intellectuelle, politique, philosophique, en lien avec la liberté, et de façon plus générale, les libertés. Comme le logiciel libre empêche qu'une "œuvre codée", collective ou non, ne devienne la propriété d'un petit nombre qui obligerait le reste à "passer par lui" pour en bénéficier, l'autonomie électrique redonne le pouvoir à celui qui la crée.

Bataille des énergies : le politique garde la main, comme toujours.

Ce pouvoir va au delà du simple fait de ne devoir rien à personne pour allumer des lumières et faire fonctionner des appareils électriques. Il va au delà de ne pas polluer lorsqu'on consomme de l'électricité. Ce pouvoir est celui de ne pas être soumis. Asservi. Pas simplement à une entreprise, mais à un ensemble : un système et des valeurs. La maîtrise technique est un moyen de changer d'état d'esprit, d'appréhender le rapport à la société, à l'Etat, d'une autre manière. Dans un système où l'infantilisation des citoyens est de plus en plus poussée à grands coups de normes,  de règlementations censées protéger chacun de soi-même et des autres, produire son électricité est une voie excessivement libératrice. Qui redonne du sens, et replace l'individu comme adulte.

A l'heure de la "transition énergétique"…

Le DiY peut devenir une mode gentillette, avec de gentils hypster bricolant des "trucs" et des "bidules" aidés d'imprimantes 3D, tout en cherchant à créer un "modèle économique" basé sur le concept. Comme déguiser un Techshop en FabLab ? Ce serait dommage, puisque le DiY n'est avant tout qu'une seule et unique chose : une démarche. Quotidienne. Une façon de penser le monde et une façon de s'y inscrire dans les actes. Comme de se ré-emparer des outils de production. La création d'électricité [solaire ou autre] autonome est donc pleinement reliée au DiY dans le sens où il faut penser le système électrique "par soi-même", le faire produire "par soi-même", le maintenir "par soi-même", le faire évoluer "par soi-même". Le but n'étant pas d'en retirer des avantages financiers, d'en faire un business. Comme d'habitude.

Ceci n'a rien à voir avec du DiY ou du prototypage et a consommé beaucoup de Wh

Le plan de transition énergétique qui vient d'être lancé en pâture aux médias et sera prochainement discuté dans les chambres parlementaires est-il une mascarade ? La classe politique veut-elle changer de modèle énergétique ou simplement montrer sa bonne volonté ? Cette transition voulue permettra-elle de sortir du système ultra centralisé et d'asservissement de la population à l'énergie ? Libre à chacun d'en juger, mais comme à chaque fois, de nombreux indices laissent penser que même si une volonté de "mieux faire" est présente, la finalité ne sera pas d'inciter les citoyens à plus d'autonomie et moins d'asservissement. Ce qui est dommage, car c'est là que se situe l'enjeu de ce siècle.

Et certainement pas dans un "verdissement" supposé ou des "économies d'énergie" forcées ou incitatives.

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Cadeau bonus pour illustrer cet article, parce que nous sommes sur Reflets, et que même les chose les plus sérieuses méritent aussi d'être traitées avec humour : "The Jean-Jacques Band, le punk des campagnes" .

 

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