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par Antoine Champagne - kitetoa

L’éveil social du monde arabe est-il exportable ?

Les mouvements populaires en cours en Tunisie et en Egypte sont le fait de la jeunesse. Excessivement connectée à Internet, utilisant les réseaux sociaux et les blogs pour s'organiser et se motiver, elle a exprimé un ras-le-bol de l'ordre établi. Les mouvances politiques d'opposition ont été suivistes et entrent à peine dans la danse. De manière malaisée et désordonnée. Comme si elles étaient elles-mêmes surprises du cadeau qui leur est fait.

Les mouvements populaires en cours en Tunisie et en Egypte sont le fait de la jeunesse. Excessivement connectée à Internet, utilisant les réseaux sociaux et les blogs pour s'organiser et se motiver, elle a exprimé un ras-le-bol de l'ordre établi. Les mouvances politiques d'opposition ont été suivistes et entrent à peine dans la danse. De manière malaisée et désordonnée. Comme si elles étaient elles-mêmes surprises du cadeau qui leur est fait. Les capitales occidentales sont totalement dépassées. Elles ont soutenu pendant des années des dictateurs et il  leur faut aujourd'hui faire un choix difficile. Soit renier leurs alliances passées et lâcher en plein vol leurs alliés pour rejoindre le camp des démocrates, du peuple en colère, aspirant à une liberté fondamentale qui lui a été déniée depuis des décennies. Soit s'accrocher à une position injustifiable. Paradoxe intenable, les occidentaux, chantres des droits de l'homme, de la démocratie, se retrouvent dans la position de ceux qui ont soutenu des dictateurs. Une sale lumière qui les illumine soudain...

Il y a comme une concordance d'événements disparates qui enserre soudain les occidentaux. D'une part, ce sont les peuples qui crient leur ras-le-bol. Pas des partis, pas des mouvances d'opposition traditionnels. Le peuple n'en peut plus et il est prêt à mourir pour se libérer. D'autre part, il y a un site qui dévoile toutes les compromissions de l'occident depuis des décennies. Si Wikileaks ne révèle pas beaucoup de scoops pour les initiés, il a le mérite de confirmer tous les petits arrangements de la diplomatie occidentale. Pour ceux qui en doutaient, c'est un mur de la réalité qui se dresse devant eux. Impossible donc pour les capitales visées de se réfugier derrière un classique "on ne savait pas".

Comment réagir ? Les vieux réflexes ressortent un à un et ont du mal a produire l'effet désiré. Le danger islamiste, au coeur de la politique occidentale vis-à-vis de cette région, semble se déliter au fur et a mesure que ces partis prennent position.

Old bullshit

Ainsi le leader du parti Ennadha, Rached Ghannouchi affirmait de Londres avant de décoller vers son pays natal : «la charia (la loi islamique) n'a pas sa place en Tunisie». Préconisant un islam modéré sur le modèle sur le modèle de l'AKP turc, il affirme: «la peur est uniquement basée sur l'ignorance».

Que dire des frères Musulmans, épouvantail égyptien préféré du régime corrompu de Hosni Mubarak ? Ceux-ci se contentent de prendre acte du mouvement, appelant leur membres à soutenir les manifestation. Évitant avec soin les pièges tendus par les différents journalistes (y compris ceux de Aljazeera), ils affirment soutenir une transition pacifique du pouvoir.

S'alliant à différents partis d'opposition ils ont mandaté Mohammed El Baradei, un opposant "bien comme il faut", prix Nobel de la Paix et ancien directeur de l'AIEA, pour négocier avec le régime en place.

Rappelons que d'après les câbles Wikileaks, Mohammed El Baradei est vu par l'administration américaine comme un "indépendant" et une alternative viable au régime corrompu. Ce qui n'a d'ailleurs pas toujours été le cas, l'Administration Bush ayant fait tout son possible pour discréditer celui qui était plus que réservé sur les supposées armes de destruction massives en Irak et sur les capacités de l'Iran à développer rapidement une arme nucléaire.

Et que dire du supposé plan d'épuration religieuse à l'encontre des chrétiens coptes dénoncé par Nicolas Sarkozy le 07 janvier 2011 ? Nous nous contenterons de citer le titre d'un journal égyptien "Al masry Al Yaoum" ("L'Egypte - Le jour") : "Chrétiens et musulmans travaillent ensemble a garantir la securité a Alexandrie".

Ces méthodes du passé consistant à agiter un chiffon, rouge, jaune, ou vert cette fois, ne mènent généralement qu'à une aggravation des tensions. In fine, plus on marginalise et plus on vilipende un groupe, plus il se renforce et s'enfonce dans la radicalisation. En outre, il arrive que les populations n'adhèrent plus à ces discours. C'est ce qui a pu se passer lors de l'effondrement du mur de Berlin, ce qui arrive également aujourd'hui au Maghreb. Il est peut-être temps pour les dirigeants de prendre en compte cette donnée. Et de tenter une alternative. Au lieu de continuer à s'aliéner l'opinion internationale (des peuples). A ce jour, les Etats-Unis ne sortent pas renforcés de leur "guerre contre le terrorisme". Au contraire. Time for a change ?

Le rejet des dirigeants et de leur manière de gérer la chose publique est patent en Tunisie et en Egypte. Il semble s'étendre ici ou là dans la région. Passera-t-il la Méditerranée ?

Politique de la peur et inégalités

La première décennie du siècle a été marquée par les attentats du 11 septembre. La réponse apportée par George Bush a profondément modifié les règles de la diplomatie mondiale. Soutenant une théorie abracadabrantesque, le nouveau président américain a mené les démocraties sur une pente glissante. Le "choc des civilisations" a permis d'exacerber les peur et les haines. En outre, la peur est un puissant outil qui permet de faire avaler à peu près n'importe quoi à ceux qui en sont victimes. En prétendant apporter des solutions pour résoudre ces peurs, les politiques ont fait passer des kilomètres de lois liberticides. Le Patriot Act aux Etats-Unis,  La LOPPSI, l'HADOPI et tant d'autres en France n'auraient pas aussi bien prospéré sans ce climat de peur. Ce dernier a également permis à George Bush de "légaliser" la torture comme outil de lutte contre le terrorisme. Les Etats occidentaux se sont alignés sur cette position en permettant par exemple les vols secrets de la CIA, les centres de rétention fantômes, etc.

Ces politiques ont décridibilisé les Etats-Unis sur la scène internationale ainsi que tous ceux qui les ont suivis. Non pas auprès des gouvernements, mais au sein même des populations.

Dans le même temps, les politiques économiques et financières ont fini d'achever le peu de confiance que les populations pouvaient avoir dans leurs gouvernements. Comble du ridicule, on assiste à des revirements incongrus. Nicolas Sarkozy prônant la mise en place d'une taxe Tobin sur les transactions financières au sein du G20 en est le meilleur exemple. Qui se souvient des déclarations à droite lorsque Attac en parlait à la fin des années 90 ? Les tenants d'une telle taxe étaient classés à l'extrême gauche...

Le World Factbook de la CIA révèle également son lot d'informations amusantes.

Si l'on part du principe que les inégalités sont au coeur des mouvements actuels en Tunisie et en Egypte, il convient de jeter un oeil à l'indice Gini qui mesure l'inégalité de la redistribution des richesses dans un pays. Plus l'indice est haut, plus cela signifie que les inégalités sont importantes.

La Tunisie arrive en 62ème position avec un indice de 40. L'Egypte en 90ème position avec un indice de 34,4. Les Etats-Unis, eux, sont en 42ème position avec un indice de 45. D'ici à ce que le peuple américain se révolte...

La France, est pour sa part classée en 82ème position à 32,7. Un résultat moins bon que celui du Pakistan, par exemple.

Bien entendu, il faut se méfier de ce type de classement qui mélange des données  récoltées à des dates très différentes. Et qui sont par nature faussées par le niveau global de pauvreté d'un pays. Mais tout de même... A quand un réveil des citoyens les plus lésés ?

Il faudra encore probablement que se réalise un peu plus le scenario mis en place par les occidentaux pour répondre à la crise financière (bancaire et dette souveraine). Les politiques budgétaires d'austérité ne manqueront pas de générer chômage et croissance molle (ou négative). La libéralisation, les régressions sociales qui seront décidées et appliquées du haut vers le bas, sans discussion, aggraveront les disparités de revenus. Un bon bouillon de culture.


Shaman a participé à l'écriture de cette article.


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