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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Les politiques ont une fâcheuse tendance à prendre les pilotes de Canadairs pour des cons

Le truc le plus emmerdant pour les politiques, ces dernières années, c'est Internet. D'où leur récurrente et appliquée tendance à le dénigrer, à vouloir le "contrôler" (qui conduit le tracteur sur le champ Internet ?), à vouloir le censurer, le "policer". Naïfs que vous êtes, vous pensiez que leur souhait de voir s'imposer un droit à l'oubli sur le Net était destiner à protéger les citoyens contre les trucs gênants qui se baladent sur eux dedans les interwebz ? Non, non...

Le truc le plus emmerdant pour les politiques, ces dernières années, c'est Internet. D'où leur récurrente et appliquée tendance à le dénigrer, à vouloir le "contrôler" (qui conduit le tracteur sur le champ Internet ?), à vouloir le censurer, le "policer". Naïfs que vous êtes, vous pensiez que leur souhait de voir s'imposer un droit à l'oubli sur le Net était destiner à protéger les citoyens contre les trucs gênants qui se baladent sur eux dedans les interwebz ? Non, non... Le droit à l'oubli, ils le veulent... pour eux. Parce que désormais, toute petite phrase, tout dérapage, filmé ou pas, se retrouve dans la minute quelque part sur le réseau. Puis, est dupliqué, et finalement, se retrouve bien placé dans les réponses de Google. Et ça, ils n'aiment pas les politiques. Avant, il y avait peu de chance pour que nous tous, allions vérifier les déclarations des uns ou des autres, à trois ou cinq ans d'intervalle, au fin fond du service "archives" des journaux papier. De nos jours, une petite balade de quelques minutes sur le Web permet de tout retrouver.

Alliez cette possibilité à la mémoire journalistique du type qui couvre son sujet depuis des années, et vous avez une arme façon effet Kiss Cool qui pétrifie les pauvres politiques.

Alors aujourd'hui, je vais tenter une petite démonstration : les politiques de tous bords ont une fâcheuse tendance à prendre les pilotes de Canadairs pour des cons, et accessoirement, à prendre tout le monde pour des cons.

Voici où commence cette histoire... Ce matin, la presse (qui manque singulièrement de mémoire ou de place, ou même de documentalistes, mais c'est une autre histoire, il faudra que j'y revienne) nous raconte que les pilotes de Canadairs sont en grève. Ca va mal. Manque de moyens, manque d'écoute des pouvoirs publics. Citons Le Monde :

En combinaison orange, plus de la moitié des 88 pilotes de la base de Marignane s'étaient rassemblés derrière deux banderoles sur lesquelles on pouvait lire : "Moins d'avions, moins de protection" et "Nos forêts, nos maisons, nos pompiers en danger". Plusieurs d'entre eux brandissaient des pancartes – "pilote en grève" ou "Canadair en grève"

Ah. Tiens, il y a pour moi, auditeur, comme un air de déjà vu. Étonnamment, la radio ne me parle pas de ce qui me revient à l'esprit. Et ce soir, Le Monde non plus. Tout au plus apprend-t-on que :

Une délégation de quatre pilotes a été reçue par le préfet de région, Hugues Parant.

"Nous sommes relativement satisfaits. Nous avons eu des engagements oraux du ministre [de l'intérieur Manuel Valls]" et deux des quatre syndicalistes reçus ont ensuite pris un train pour se rendre au ministère à Paris pour une réunion en fin d'après-midi, a indiqué l'un de ces syndicalistes, Alain Huet.

On comprend (mais honnêtement..., on s'en doutait) que tout ça est dû à un manque de moyen et que ce n'est probablement pas nouveau :

Leur grève illimitée, la première depuis 1998, vise à dénoncer le manque de moyens affectés selon eux à la maintenance des avions et une absence de dialogue social avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Les grévistes demandent 10 millions d'euros nécessaires à la maintenance des appareils.

Personnellement, je pense que les pilotes devaient se méfier très fermement des promesses du nouveau ministre des expulsions et de l'enfermement des enfants en centres de rétention. Pourquoi ? Parce que son fameux prédécesseur, devenu président de la république, avait fait les mêmes. Et que visiblement, rien n'a changé parce que... les politiques prennent les pilotes de Canadair pour des cons.

Voyez-vous, le 7 juillet 2010, j'écrivais un article sur l'affaire Woerth / Bettencourt. J'y parlais d'éléments de langage,  de storytelling politique. Et puis, au détour d'un paragraphe, j'évoquais la propension de l'ex énervé de l'Elysée à surfer sur la moindre catastrophe, le dernier faits divers à la mode et à annoncer une myriade de solutions définitives. Jusqu'au lendemain. Parce que le lendemain, il serait sur un "autre coup médiatique", sur autre chose. Parce que le lendemain, il aurait oublié les pilotes de Canadairs et, en fait, pour être vraiment transparent avec vous, il aurait oublié tous ceux qui lui avaient fait confiance. Tout comme, maintenant que les politiques au pouvoir sont de gauche, les élus de gauche oublieront les électeurs de gauche.

Alors, quelle était cette histoire de Canadairs en 2010 ?

Cela commençait comme ça :

Un problème, une controverse quelque part ? Nicolas Sarkozy surgit comme un histrion et promet une solution. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine qui lui est cher : celui de la sécurité. Un Canadair s’écrase ? Nicolas Sarkozy promet de « revoir les procédures de sécurité » et se prononce pour l’installation d’enregistreurs de vols sur ces appareils.

Un enfant se fait tuer dans une cité ? Nicolas Sarkozy promet de la nettoyer au karcher.

Un immeuble brûle ? Nicolas Sarkozy promet de recenser « tous les immeubles qui peuvent présenter une situation de dangerosité en termes d’incendie et de sur occupation ». Nicolas Sarkozy est dans la réaction aux problèmes qui se posent, pas dans l’action préalable. Mais il tente coûte que coûte de faire passer la réaction pour de l’action.

Et ça finissait comme ça :

Les réponses de Nicolas Sarkozy sont plus rapides que l’éclair. En paroles, bien entendu. Pour les Canadairs qui s’écrasent, Nicolas Sarkozy promet de remplacer deux avions ? Éric Soupra, porte-parole de la direction de la sécurité civile, un peu plus en prise avec la réalité, fait quant à lui valoir qu’il faut deux ans pour qu’une commande de ce type se concrétise par l’arrivée de l’avion sur le terrain.

Alors oui, pile poil deux ans plus tard, je me sens dans l'obligation morale de révéler la triste réalité aux pilotes de Canadair  : les politiques vous prennent pour des cons. Mais attention, ce n'est pas tout. Les politiques prennent, en règle générale, les électeurs pour des cons.

Mieux, la presse ne fait rien pour vous le dire puisqu'elle se contente d'être une caisse résonance du storytelling politique, sans le remettre (ou très rarement) en cause.

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