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par Antoine Champagne - kitetoa

#LEFFEST : A quoi sert la surveillance globale ?

Constater, révélations d'Edward Snowden à l'appui, que la planète entière a été mise sur écoute est une chose. Comprendre cette surveillance, l'analyser et théoriser les moyens de sortir de ce nouveau paradigme en est une autre. Le  symposium sur la surveillance organisé au cours du Lisbon & Estoril Film Festival a réussi à réunir en chair et en os ou via Internet une étonnante brochette de penseurs qui ont clairement avancé sur ces terrains.

Constater, révélations d'Edward Snowden à l'appui, que la planète entière a été mise sur écoute est une chose. Comprendre cette surveillance, l'analyser et théoriser les moyens de sortir de ce nouveau paradigme en est une autre. Le  symposium sur la surveillance organisé au cours du Lisbon & Estoril Film Festival a réussi à réunir en chair et en os ou via Internet une étonnante brochette de penseurs qui ont clairement avancé sur ces terrains.

Noam Chomsky a ouvert le bal en replaçant la surveillance dans une perspective historique. Remontant une bonne centaine d'année en arrière, il a rappelé que les Etats-Unis avaient théorisé les méthodes de collecte d'informations sur les populations lorsqu'ils avaient envahi les Philippines. Les moyens de l'époque étant moins sophistiqués et massifs, il s'agissait de savoir ce qui se trouvait dans les têtes des "leaders" dans la population. Ceux qui pouvaient mener à une remise en question du nouvel ordre établi. Ces techniques furent immédiatement réimportées aux Etats-Unis. Rien de neuf sous le soleil aujourd'hui, précise Noam Chomsky. Les Etats-Unis avaient par exemple déjà truffé de micros les bureaux des délégations étrangères lors de la création de l'ONU en 1947... Il était lui-même sur une liste de personnes considérées comme dangereuses pour le pouvoir sous Nixon...

Vote et tais-toi

Mais Noam Chomsky analyse également le contexte sociétal dans lequel s'inscrit cette surveillance. Pourquoi elle est mise en place. Selon lui, la tranche de la population au pouvoir estime être la seule suffisamment éclairée pour être apte à prendre des décisions. Le peuple, pour sa part doit resté cantonné à un rôle de spectateur. Il est bien entendu appelé à voter régulièrement pour élire des "responsables" mais... qu'ils soient d'un bord ou d'un autre, ces "responsables" sont tous issus de la même tranche de la population... Celle de ceux qui se pensent aptes à prendre des décisions.

Sur la surveillance en elle-même, Chomsky souligne que lorsque que des documents sur ce sujet -jusque-là- secrets, sont dévoilés, on se rend généralement compte qu'il ne s'agit pas de lutter contre les dangers communément énoncés, mais d'éviter que les populations se retournent contre les pouvoirs en place.

L'impact de cette surveillance massive est évidemment une autocensure des peuples, une plus grande difficulté à résister aux abus des pouvoirs en place.

Sur les moyens de résistance à cette intrusion dans la vie privée qui se présentent aux populations surveillées, Chomsky souligne que les révélations d'Edward Snowden, comme celles de Wikileaks ne produiront que les effets que nous voudrons bien déclencher. "C'est entre nos mains", précise-t-il.

Tous ont évoqué pendant ces trois jours de réflexion la nécessaire déconstruction d'une réalité altérée et présentée comme une vérité inattaquable, comme un dogme par les pouvoirs en place. Il faut redéfinir la réalité avec les mots qui lui corresponde, sortir de la fabrication par les pouvoirs en place d'un monde qui n'existe pas. Il est même parfois tout à fait inverse à ce qui est présenté au public.

A titre d'exemple, Baltasar Garzon évoque les supposés crimes de Julian Assange qui lui valent d'être réfugié et enfermé dans l'ambassade d’équateur en Grande Bretagne depuis plus de deux ans sans être inculpé de quoi que ce soit, sans perspective de procès : avoir rendu publiques des informations avérées sur certains actes des Etats-Unis. Or, curieusement, précise-t-il, aucun de ces actes dont une bonne partie sont délictueux, des actes de corruption, d'assassinat, de menaces, n'ont donné lieu à des poursuites, ni aux Etats-Unis, ni dans aucun autre pays. En d'autres termes on présente le messager comme un criminel alors que tous les crimes évoqués par le messager sont "oubliés", le Justice ne s'en saisissant pas.

On fait quoi ?

Que faire pour agir, aura sans doute la question la plus récurrente dans le public lors de ces trois journées.

Certains brandissant leur incapacité technique comme un frein supposé à toute mise en place de mesures de protection contre les outils de surveillance globale implantés par les gouvernements.

Ce à quoi Jacob Appelbaum apporte une réponse intéressante : la plupart d'entre nous, sommes de véritables illettrés en matière de biologie. Nous ne savons rien des rétro-virus, de leur mode de fonctionnement. En revanche, nous savons comment nous protéger pour les éviter. Il en va de même dans le domaine de la surveillance massive. Inutile de comprendre les aspects techniques complexes pour s'en protéger.

Internet, précise le hacker, permet à n'importe qui, quelle que soit sa condition de s'élever : plus de frontières, un accès total au savoir. C'est un complément fantastique du système éducatif. Celui-ci pouvant justement aider, être une passerelle, en développant la curiosité des enfants, en leur donnant accès à un Internet sans censure et surveillance.

La (mauvaise) raison d'Etat

La surveillance globale, comme la torture, également utilisée pour "lutter contre le terrorisme" sont toujours choisies en première intention par les Etats, rappelle par ailleurs Baltasar Garzon, qui a longtemps été au coeur de l'appareil d'Etat. Ce que font Wikileaks ou Edward Snowden, c'est rendre visible cette "mauvaise raison d'Etat", plus facile que les voies démocratiques et légales, qui protège non pas les citoyens, mais ceux qui détiennent le pouvoir.

L'ancien juge a évoqué sa propre mise sous surveillance lorsqu'il enquêtait sur l’État en Espagne : il recevait à son domicile les enregistrements de ses conversations.

Son implication dans la défense de Julian Assange a quant à elle eu un effet immédiat : José Miguel Insulza, alors responsable de la mission d'appui au processus de paix de l'Organisation des Etats Américains (OEA) lui a demandé d'abandonner son rôle dans le processus en Colombie, à la demande de Washington.

Son arrivée à Seattle a également été mouvementée, comme les passages à la douane de Jacob Appelbaum ou de Laura Poitras (lorsqu'ils résidaient encore aux Etats-Unis). Il a été retenu deux heures par deux agents qui détenaient un épais dossier sur son compte.

S'opposent donc des Etats devenus tout puissants et des populations finalement asservies après avoir été dépouillés de leurs Droits.

 

Note : cet article a été financé grâce aux dons des lecteurs de Reflets

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