Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par shaman

#Leak : Revolutionner la quête de la transparence

Depuis plus de deux ans maintenant les fuites d'informations (ou "leak") pleuvent sur la toile. Le début de ce mouvement pourrait-il être attribué à Assange et à son équipe ? Où ont-ils simplement su sentir l'air de leur temps ? Si la  fameuse plateforme a d’abord décollé doucement, c’est grâce à Bradley Manning que Wikileaks va gagner ses lettres de noblesse. Le 25 juillet 2010, Wikileaks publie les journaux de la guerre en Afghanistan.

Depuis plus de deux ans maintenant les fuites d'informations (ou "leak") pleuvent sur la toile. Le début de ce mouvement pourrait-il être attribué à Assange et à son équipe ? Où ont-ils simplement su sentir l'air de leur temps ? Si la  fameuse plateforme a d’abord décollé doucement, c’est grâce à Bradley Manning que Wikileaks va gagner ses lettres de noblesse.

Le 25 juillet 2010, Wikileaks publie les journaux de la guerre en Afghanistan. Le 22 octobre 2010, c'est au tour des journaux de la guerre en Irak, journaux compilés par l'armée américaine entre 2004 et 2009. Enfin le 28 octobre, le site commence à publier le troisième volet de leurs "mégas-leaks" : l'ensemble des câbles diplomatiques issus des différentes ambassades américains à travers le monde. Ces trois gros coups vont propulser le site sur le devant de la scène, avec tous les désagréments qui vont avec. Bradley Manning est arrêté, emprisonné sans procès dans des conditions dignes de Guantánamo. Assange, lui, se retrouve assigné à résidence en Angleterre, traqué par les instances judiciaires de trois pays différents avec en ligne de mire un procès pour espionnage sur le territoire américain. Les états occidentaux vont s'attaquer à WikiLeaks et à ses soutiens en visant, en premier lieux, sa structure financière.

Cette chasse aux sorcièrex ne va pas arrêter le mouvement.

Dés début 2011, surfant sur la vague des révolutions arabes, le mouvement Anonymous s'étoffe et prend de l'ampleur, se posant en défenseur de la transparence. La défense de Wikileaks va être un combat important, un combat fondateur. Mais ne dit-on pas que la meilleure défense, c'est l'attaque ?  Les hackers affiliés au mouvement rentrent dans la course et la fuite d'informations critiques devient une de leurs armes de prédilection.

Dans un monde gangrené par l'impérialisme et la corruption, les fuites d'informations stratégiques seraient un outil qui nous permettrait de nous diriger avec plus d'assurance vers un monde plus juste.

L'automne arrive, l'hiver suivra. L'agitation va laisser place au travail et à la réflexion. "Reflets.info" ne compte pas rester sur le bas-coté. Permettez moi d'apporter ma pierre à l'édifice en vous proposant un petit voyage sociologique au cœur des notions de transparence, de fuites d'informations et de sonneurs d'alertes ("whistleblowers"). Cet article ne prétend pas vous apporter des réponses tout faites, mais aspire à créer de nouvelles pistes de réflexion.

Suivez le guide ...

 

L'émergence d'une société de la connaissance

 Les chercheurs en sciences politiques Inglehart et Welzel replacent la notion de transparence dans un cadre plus général, celui du processus de modernisation sociale des sociétés.

Pour eux, nos sociétés sortent du processus d'industrialisation. Celui-ci est caractérisé par plusieurs notions : la rationalisation, la bureaucratisation et la sécularisation. Alors que ce type de société arrive à maturité, ayant amené à la majeure partie de leur population bien-être et sécurité physique, l'évolution prend une nouvelle direction et un nouveau paradigme se met en place: celui de la société de la connaissance. Celui-ci est caractérisé par un nouvel ensemble de changements, mettant l'accent sur l'autonomie individuelle, la libre expression et le libre choix. Le pouvoir vient de la connaissance et le citoyen moderne peut aisément exercer ce privilège.

 La société de la connaissance est plus complexe, plus interconnectée. On y observe une forte dispersion des responsabilités. Dans l'entreprise, on demande aux travailleurs de faire preuve d'initiative et d'assumer ainsi une petite part de responsabilité. La politique elle même perd de son sens. Nos nations remettent une part de leur souveraineté à des instances supérieures (Union Européenne, traités internationaux, ...). L'économie, qui était pourtant considérée comme une arme essentielle des Etats, se transforme ainsi en une entité divinisée contre laquelle on ne peut rien faire (la main invisible). Chaque individu devient une pièce d'une énorme machinerie qui semble avancer toute seule. Dans ce nouveau cadre, comment influer sur la course du système, comment l'homme peut-il garder la maîtrise de son environnement ?

Car cette société de la connaissance révolutionne aussi la notion de risque. Les menaces directes à l'encontre de l'intégrité physique de l'individu ont été éliminées. Son bien-être est garanti. Paradoxalement, l'individu va alors prendre conscience d'autres types de risques, et ne va plus les tolérer. Muni de l'information, source de pouvoir, le citoyen découvre des risques plus globaux, souvent associés à la modernité "Man Made" (risques environnementaux, risques sanitaires, ...).

Et contre ces nouveaux types de risques, les anciennes méthodes montrent vite leurs limites. Les anciens agents du processus d'industrialisation, agents chargés de détecter et de corriger les problèmes (surveillants, contrôleurs) deviennent aveugles devant cette irresponsabilité organisée. D'autres individus se trouvent alors mieux placés pour dénoncer et agir sur ces risques globaux. Ces individus, positionnés à différents endroits de la grande machine sociétale, peuvent par hasard, de par leurs connaissances ou leurs compétences prendre conscience, à un moment de leur vie, d'une image plus globale et ainsi repérer des dysfonctionnements structurels. Les exemples les plus symboliques de ces individus sont les scientifiques ou les sonneurs d'alertes (whistleblowers).

 

Le paradoxe des whistleblowers

 Précisons maintenant ce qu'est un whistleblower (ou "sonneur d'alerte" en français). D'après Wikipédia :

 Un lanceur d'alerte, parfois appelé dénonciateur, désigne une personne ou un groupe qui estime avoir découvert des éléments qu'il considère comme menaçants pour l'homme, la société, l'économie ou l'environnement et qui de manière désintéressée décide de les porter à la connaissance d'instances officielles, d'associations ou de médias, parfois contre l'avis de sa hiérarchie.

 Et pour compléter cette définition, rien de mieux qu'un exemple : Bradley Manning.

 Ce soldat Américain, travaillant comme analyste en Irak, est, selon les autorités américaines, l'auteur des trois "mégas-leak" qui ont fait la renommée de Wikileaks. Pour son geste, Manning a été encensé par une grande partie de la population mondiale. Et sur ce point, il n'est pas le seul dans son cas.

En 2002, éclate aux États-Unis l'affaire Enron suivie de près par l'affaire WorldCom. La corruption et les fraudes en vigueur dans les grandes compagnies américaines sont ainsi exposées aux yeux du monde. A l'origine des ces affaires, trois whistleblowers faisant partie des ces compagnies mythiques: Cyntia cooper, Sherron Watkins, Coleen Roley. Ce trio sera nommé "Person of the year 2002" par le magazine Time, une forme de reconnaissance mondiale. Remontons plus loin avec Jeffrey Wigand. En 1995, Jeffrey dénonce les secrets les plus noirs de l'industrie du tabac, en témoignant dans un reportage sur la chaîne CBS. Un film sera tiré de son histoire : "The Insider". Russell Crowe sera choisi pour jouer son rôle: à ce stade les whistleblowers deviennent carrément "people"...

Et pourtant ... Voici ce que dit le psychanalyste Fred Alford, parlant des whistleblowers avec qui il a travaillé pendant plus de 20 ans :

 "[...] Je pense que nous ne comprendrons pas ce qui se passe dans nos sociétés tant que nous n'écouterons pas les larmes, les cris, la souffrance et l'horreur de ceux qui ont passé une limite dont ils ne connaissaient pas l'existence"

 C'est ce que nous nommons le "paradoxe des whistleblowers".

 Si ces individus sont adulés du grand public, personne ne veut les avoir proche de soi. La plupart, après être passés à l'acte se sont retrouvés marginalisés, isolés de leurs relations sociales et semblent devoir finir leur vie dans la solitude. Dénoncer les méfaits de nos organisations: ok pour les autres, mais pas pour moi ou mes relations ...

Comment expliquer cette apparente contradiction ? Tournons-nous vers un sociologue : c'est George Simmel qui s'y colle.

Simmel s'est penché sur les sociétés secrètes et sur le rôle du secret dans les relations sociales. Il affirme ainsi que, si toute relation entre les hommes nécessite un certain savoir sur l'autre, ce savoir ne doit pas être parfait. Le non-savoir, l'ambiguïté et le mensonge peuvent être moralement répréhensibles, mais ils sont socialement positifs pour l'établissement des relations humaines. Apprendre un secret de quelqu'un forge la relation de confiance et crée un lien privilégié. Il décrit:

“La possession de la pleine connaissance élimine le besoin de confiance, alors que l'absence complète de transparence rend la confiance évidemment impossible".

Une société ne peut pas survivre sans confiance. Ce constat lui permet d'appliquer la métaphore d'Icare à la quête de la transparence.

Ceci nous éclaire mieux sur le paradoxe des whistleblowers. Ces individus ont trahi les secrets qui leur avaient été confiés. Ils ne sont donc plus dignes de confiance. Et qu'importent les motifs derrière leur trahison. Nous pouvons saluer leurs prises de positions, leur lutte pour des principes supérieurs et leurs efforts pour construire une société plus juste. Mais qu'ils se tiennent loin de nous. Traître un jour, traître toujours. Comment les considérer autrement que comme des balances (snitches en anglais).

 

La complexité de rompre le silence

 Nous avons discutés des racines sociologiques du paradoxe des whistleblowers.

 Mais ce paradoxe ne suffit pas à expliquer pourquoi tant de secrets essentiels restent enfouis pendant si longtemps. Le "destin", propre aux whistleblowers ne les frappe qu’après leur passage à l'acte, comme une punition, une sanction. Pourquoi si peu de personnes passent-elles à l'acte ? Qu'est ce qui peut donc empêcher un citoyen, témoin d'une malversation grave, de dénoncer les fautifs pour le bien-être commun ?

 Il semble que la non-action soit inhérente à la nature humaine. Les raisons rationnelles pour garder le silence sont nombreuses: peur d'être impliqué, empathie avec les fautifs, incertitude sur les conséquences ("qu'est ce que va impliquer mon geste ?"), absence de sens moral clair, ainsi que le fait de ne pas croire en la possibilité du changement. Toutes ces raisons sont compréhensibles. Mais il en existe d'autres plus subtiles, plus insidieuses. En voici trois:

L'organisation structurelle

Nous avons déjà évoqué le thème de l'organisation structurelle lorsque nous avons parlé de la société de la connaissance et de son irresponsabilité organisée. Avec le partage du travail (taylorisation) issu de la modernisation, l'individu ne devient qu'un rouage d'une immense machine: c'est le syndrome des trains d'Hitler. L'individu n’accomplit qu'une toute petite tache dans la grande mécanique de la déportation. Beaucoup de ses co-travailleurs constatent aussi bien que lui l'horreur qui se trame. Personne ne parle ... alors pourquoi le ferait-il ? Et s'il décide de ne pas accomplir sa tache pour entraver la machine, quelqu'un ne viendra-t-il pas le remplacer très rapidement ?

L'organisation structurelle agit aussi sur un autre plan : l'obéissance à une autorité considérée comme légitime. C'est le sociologue Milgram qui a travaillé sur cet aspect. Dans son expérience, des faux scientifiques prétendent réaliser une expérience sur la douleur et demandent à différents sujets d'infliger des décharges électriques à leurs compatriotes. Les résultats de cette expérience sont pleins d'enseignements. Quel que soit l'ordre qui est donné, si la personne qui le donne est considérée comme légitime, alors nous avons beaucoup de mal à le contester.

La sociation

C'est Christopher Browning qui mettra en évidence l'importance de la sociation. Ce sociologue va travailler sur un bataillon SS, envoyé en plein cœur de la Pologne pendant la deuxième guerre mondiale. Ces personnes ordinaires ont commis de nombreux massacres et Browning veut comprendre pourquoi. Il tâche alors d'éliminer tous les éléments non pertinent. La propagande semble avoir peu jouée, les soldats étaient des personnes ordinaires, la menace des châtiments était presque inexistante ... Il découvre alors que la sociologie du groupe a été déterminante. Ces cinquante allemands perdus en territoire ennemi se sont serrés les coudes entre eux. Une des excuse la plus employé était : "Je ne vaut pas mieux que les autres. Si eux participent alors je participerai aussi".

En entreprise, ou dans les grandes organisations, cette tendance a une forte influence. Elle prend parfois le nom de culture d'entreprise. Les whistleblowers potentiels se sentent liés à leur organisation : économiquement, socialement. Ceci conduit à l'aveuglement moral, et à l'autocensure.

Le corbeau de mauvaise augure

Une troisième raison du silence, cruciale dans le phénomène de whistleblowing, est la présence d'une oreille attentive, prête à écouter ce que le whistleblower a à dire. La malversation qu'il s'apprête à dénoncer cadre-t-elle avec l'agenda politique ? Ou l'agenda médiatique ? Et plus généralement, sommes-nous vraiment prêts à remettre en cause certaines de nos idées sur notre société ou sur le monde. Sommes-nous prêts à bouleverser nos quotidiens pour nous adapter aux révélations qui nous sont faites ?

 

Domestiquer les dénonciateurs

Lorsque nous avons évoqué les quelques whistleblowers célèbres, nous avons donné l'impression que ces dénonciateurs étaient solitaires, partis en croisade contre un système injuste et corrompu. Si cette image à quelques accents de vérité, on constate aussi l'apparition d'un autre type de whistleblower, plus intégré au système en place, beaucoup moins révolutionnaire. Et pour comprendre comment ce wistleblower "nouveau" a émergé, il va falloir nous rendre aux États-Unis et remonter un peu dans l'histoire.

Suivez le guide.

En 1863, pendant la guerre civile, est mise en place la première législation pour favoriser  les whistleblower : l'"US False Claims Act".  Dans le viseur, les entreprises qui profitent de la guerre en vendant au gouvernement du matériel défectueux. Les dénonciateurs peuvent venir de l’intérieur ou de l’extérieur de la société. Et la loi prévoit qu'ils soient récompensés pour leur geste. Aujourd'hui encore, cette loi sert de cadre à certaines dénonciations: entre 1987 et 2005, l'état américain récupérera ainsi 15 milliards de dollars et les dénonciateurs seront récompensés à hauteur de 70 millions de dollars.

Durant le 20ième siècle, plusieurs lois vont venir compléter la couverture législative des dénonciateurs: d'abord le "Railway Labour Act" en 1926, puis le "Federal Railroad Safety Act" en 1970, le "Safe Drinking Water Act" (1978) et le "Clean Air Ac"t (1988). Bien que ne concernant pas directement les dénonciateurs, ces lois comprennent des dispositions pour les protéger contre les représailles, certaines prévoyant même des récompenses. On voit l'apparition des hotlines de dénonciation.

La volonté politique semble être du coté des whistleblowers. Mais dans les faits, de nombreuses approximations persistent. Des amendements législatifs sont apportés au fil du temps mais les erreurs sont fréquentes et devinez qui en paye le prix ... A l'aube des années 2000, et malgré ces nombreux tâtonnements, la législation qui s'est mise en place aux États-Unis est unique au monde. Seuls les dénonciateurs agissant contre la sécurité nationale des États-Unis ne sont pas protégés. Une association milite pour leur protection : la "National Security Whistleblowers Coalition" (NSWC).

Les années 2000 vont marquer un tournant.

Les États-Unis vont d'abord décider d'accorder l'asile politique aux officiels gouvernementaux étrangers prêts à dénoncer la corruption dans leur pays, marquant ainsi une première tentative d'export du whistleblowing. Puis interviennent les attentats du 11 septembre 2001 et avec eux la guerre contre terrorisme. Les citoyens sont de plus en plus appelés à dénoncer les actes suspicieux, promouvant ainsi les comportements liés à la dénonciation. A l'opposé, les nouvelles législations de sécurité nationale vont venir menacer les acquis législatifs des whistleblowers.

Enfin, éclatent les scandales financiers de 2002. La corruption des grands groupes financiers a été dénoncée par des employés, pénalisés par les malversations de leurs dirigeants. Ces grands groupes, à l'image de Enron, vacillent. La confiance dans le marché baisse, à tel point que la bourse de New York va appeler le gouvernement à des réformes. La réponse du gouvernement américain va prendre la forme du "Sarbanes-Oxley Act" (SOX). Cette réforme introduit un ensemble de dispositions visant à la responsabilisation et à la bonne gouvernance (contrôles internes, évaluation de ces contrôles internes, hotlines anonymes). Cette réforme met au centre de ses mécanismes de contrôle les whistleblowers. Mais plus important, elle impose à toutes les entreprises cotées à la bourse de New York de se conformer à ces dispositions. C'est une nouvelle étape dans l'exportation des législations de protection des dénonciateurs. Et un défi culturel pour les Européens plus enclins à mettre en avant la protection des accusés.

Prenons maintenant un peu de recul pour analyser les différences entre ce whistleblower "nouveau" et le whistleblower "historique".

  • Passage d'un focus acteur à un focus "structure": le whistleblower lui-même perd de son importance face au message.
  • Le message convoyé par le whistleblower devient guidé et devient un outil de détection d'anomalies. Les managers parlent alors de mécanisme de "early warning".
  • Le message du wistleblower, auparavant dirigé de l'intérieur vers l’extérieur de la structure, devient un message à destination de la structure elle-même.
  • D'une dynamique réactive, on passe à une dynamique proactive: la dénonciation devient organisée, domestiquée.
  • Enfin le dénonciateur agit pour améliorer la compagnie et non contre elle.

On observe une perte du sens moral associé au whistleblowing. Les différentes législations mise en place ont un but politique et sont plus que jamais une histoire de pouvoir. Elles visent à protéger ceux dont le geste va conforter le groupe au pouvoir. Et gare à ceux qui auraient l'intention de changer le système.

Plongeons dans le cas Wikileaks, symbolique de cette nouvelle dynamique.

 

La révolution Wikileaks / Bradley Manning

D'un point de vue sociologique, le cas Wikileaks / Bradley Manning représente une résurrection du concept "historique" du whistleblower.

Avant toutes choses, la plateforme Wikileaks elle même s'appuie sur les recherches tournant autour du concept de dénonciation. Elle propose au citoyen du monde un moyen anonyme pour dénoncer les nouveaux risques de nos sociétés, lui épargnant ainsi de subir le "destin du whistleblower". Et elle est une oreille toujours prête à écouter. Les contenus leakés ne sont pas filtrés, ou choisis par des médias en quête de scoop alléchant. Mais grâce à des partenariats avec ceux-ci, Wikileaks s'attache à organiser et à diffuser aux personnes intéressées les contenus qui lui ont été envoyés.

Wikileaks peut-il être déconnectée de Bradley Manning ?

Manning est l'archétype même du whistleblower historique. Avec Manning, nous repassons à un focus "acteur". C'est de nouveau un citoyen avec des valeurs morales qui décide de passer à l'acte. Le message est réactif et non pro-actif : celui-ci aurait décidé de passer à l'acte en visionnant la vidéo de l'hélicoptère américain abattant des civils irakien et un cameraman de Reuters. Le message de Manning est bel est bien dirigé vers l’extérieur de sa structure: l'armée et le renseignement américain. Il s’adresse ainsi à la société mondiale dans son ensemble. Manning ne vise pas, en réalisant son geste, à améliorer l'armée américaine. Il dénonce ce qu'il voit et est prêt à en assumer les conséquences.

Qu'elle va être la réaction du pouvoir ?

Manning va subir de plein fouet les conséquences de son geste. À la fois adulé et détesté, il est emprisonné depuis plus de deux ans dans des conditions d'isolement maximum. Il attend toujours son procès. Le destin d'un whistleblower...

Depuis cette affaire, l'administration Obama a décidé de resserrer la vis et d'appliquer au champ de la sécurité nationale, une politique de tolérance zéro. Jamais une administration américaine n'avait poursuivi autant de dénonciateurs sous un mandat: six procès actuellement en cours. Les whistleblowers sont ainsi poursuivis grâce à l'"Espionnage Act", une législation datant de 1917. Aucun sens moral n'est reconnu à ces Américains, prêts à s'élever contre les abus touchant à la sécurité nationale: ils sont considérés comme des espions et des traîtres à leur patrie. Parmi ces traîtres, citons John Kiriakou qui a dénoncé des agents de la CIA ayant pratiqué le "waterboarding", ou Thomas Drake, agent de la NSA qui a dénoncé les abus du projet TrailBlazer, un projet d'espionnage des communications...

Peut-on pour autant en conclure que l'administration Obama est allergique aux fuites d'informations ? Pas vraiment ...

Durant la campagne 2012, l'équipe Obama a été accusée à de nombreuses reprises de fuites d'informations, et ce, pour renforcer son capital politique. C'est d'abord autour du programme de drones et de guerre cybernétique que surgissent les premières accusations: des sujets pourtant au cœur de la sécurité nationale. Enfin, le cas Ben Laden va faire parler de lui. Les articles de journaux, très précis sur l'opération américaine, s'avèrent être téléguidés depuis la maison blanche. Puis on apprend que le film sur la traque de Ben Laden, a bénéficié de renseignements venant des plus hauts lieux et disposant d'un accès étendu aux agences de renseignement. 

Les législations de protections des whistleblowers semblent donc bien être une problématique de pouvoir. Et l'administration Obama est parvenue sur ce sujet au comble de l'hypocrisie. Un message guidé, encadré et conçu pour améliorer le système est le bienvenu. Mais lorsque le message vient saper les fondements du pouvoir, ce message est considéré comme ennemi et traité comme tel.

 

La luttes des classes "hackers"

L'histoire ne s'arrête pas là. Elle est en train de s'écrire sous nos yeux.

Depuis 2010, les leak ne sont plus la chasse gardée des whistleblowers. D'abord partis en défense de Wikileaks, un certain nombre de hackers ont décidé de rentrer dans le jeu. Un nouvel espoir pour une transparence libre et citoyenne ?

Nous allons conclure en citant quelques passages d'un texte écrit dans le magazine "Phrack" par un contributeur anonyme.

Certaines rumeurs attribueraient ce texte à Jeremy Hammond, aka Anarchaos, affilié au mouvement Anonymous, et auteur de la leak "Stratfor". Jeremy Hammond avait eu l'occasion de parler à la conférence Black Hat, appelant à la désobéissance civile par le piratage informatique. Il a été arrêté en 2012 pour son attaque contre la société "Stratfor" et est actuellement en prison, sans procès, depuis plus de 200 jours.

Laissons lui la parole.

"De quel bord êtes vous dans la lutte des classes Hacker"

Avec l'essor considérable des activités de hacking et des fuites d'informations, parallèlement aux bouleversements révolutionnaires dans le monde, nous entendons de plus en plus fort la rhétorique de la "cyber-war", clamée par les gouvernements qui essayent de maintenir leur légitimité et d'exercer leur pouvoir d'états policiers.

[…]

Nous faisons l’expérience de l'ouverture de la prochaine lutte des classes Hacker. Avec les nombreuses factions à la manœuvre opérant chacune avec leur propre agenda et stratégies, avec de plus en plus de hackers pénétrant dans des systèmes pour la révolution ou pour les profits du complexe industriel du renseignement militaire, la question posée est la suivante "Dans quel camp êtes vous ?"

[…]

Parce que beaucoup de ceux qui affirment représenter les hackers, finissent par travailler dans les institutions corrompues et oppressives combattues par d'autres hackers, il est temps de tracer des lignes dans le sable. Si vous travaillez pour les militaire, faisant partie ou informateur des forces du maintien de l'ordre, travaillant pour une compagnie en contrat avec le "Département de la Défense", ou pour une compagnie privée louée pour chasser les hackers ou protéger l'infrastructure que nous voulons détruire, vous n'êtes pas un de nos camarades. Nous sommes en 2011, l'année des leaks et des révolutions. Chaque jour nous entendons les échos des émeutes qui agitent le monde, ainsi que des histoires de systèmes corporatistes ou gouvernementaux "ownés" par des hackers.

[…]

Alors que les hackers continuent d'exposer et d'attaquer la corruption, les forces de l'ordre vont désespérément continuer à essayer de faire des arrestations de haut niveau, sans tenir compte de la réelle culpabilité ou association. Et plus particulièrement, alors que les politiciens continuent d'essayer de classer l'hacktivisme comme cyber-terrorisme (considéré comme un acte de guerre), le danger de la prison est réel et les gens doivent être préparés à l'avance à toutes les répercussions de leur implication.

Nous ne devons cependant pas nous laisser effrayer par la peur de la répression des gouvernements, cela ne doit pas nous empêcher de passer à l'action. À la place de cela, nous devons renforcer notre mouvement en pratiquant une meilleure culture de la sécurité et en travaillent pour soutenir les autres hackers, arrêtés alors qu'ils faisaient leur devoir.

[…]

Aujourd'hui plus que jamais nous devons nous unir et pratiquer la solidarité entre nous, et mettre de coté nos différences pour nous concentrer sur nos ennemis communs.

 

Cet article s'est appuyé sur des travaux de Master en criminologie internationale et comparative réalisé à l’université de Rotterdam par Evita Sips : 

Condem Silence. Honour the whistleblower ? The Emergence of Internal Whistleblowing Schemes Within a Quest for Transparency.

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