Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Le monde tel qu'il est

Ce n'est pas toujours simple de voir le monde tel qu'il est. Prenons un ou deux exemples pour se faire une idée. Vous pourriez penser que le monde est tel qu'on vous le donne à voir. Par exemple, en vous disant que le Comité de Bâle a choisi de repousser à 2019 les règles prudentielles imposées aux banques après la crise de 2008 parce que sinon, "l'économie réelle" allait souffrir. C'est simple, ça tient à peu près la route et ça ne pose pas de questions.

Ce n'est pas toujours simple de voir le monde tel qu'il est. Prenons un ou deux exemples pour se faire une idée. Vous pourriez penser que le monde est tel qu'on vous le donne à voir. Par exemple, en vous disant que le Comité de Bâle a choisi de repousser à 2019 les règles prudentielles imposées aux banques après la crise de 2008 parce que sinon, "l'économie réelle" allait souffrir. C'est simple, ça tient à peu près la route et ça ne pose pas de questions.

Vous pourriez aussi  penser que si John C. Kiriakou va passer deux ans et demi en prison c'est parce que ce traitre a donné le nom d'un membre actif de la CIA a un journaliste, trahissant ainsi les règles de silence imposées par l'agence. Force reste à la loi.

Oui... Sauf que si l'on a un peu de mauvais esprit et que l'on déconstruit le storytelling qui entoure ces deux affaires, on fait une lecture un peu plus pessimiste et existentiellement difficile à gérer, du monde tel qu'il est... réellement.

Pour le premier point, il faut remonter un peu loin. En 2008, avec la crise des subprimes, la planète finance menace de s'écrouler. A force de jouer avec le feu, d'inventer et d'utiliser des produits pourris pour générer de l'argent, les financiers sont au pied du mur. Ils sortent alors leur fameuse incantation vaudou : ils crient en coeur "risque systémique". Et les gouvernements, qui n'en sont pas à leur première expérience pourtant, se font avoir. Ils ouvrent grand le robinet et injectent des milliers de milliards de dollars. En abaissant les taux d'intérêts jusqu'à un niveau proche de zéro (du coup les banques qui empruntent à 0,25%  peuvent reprêter à 3% et générer de l'argent gratuitement, ou presque, pour redresser leurs comptes), mais aussi en injectant directement de l'argent frais pour sauver certaines banques de la faillite.

Toutes contentes (leur incantation vaudou a encore marché), les institutions financières en profitent pour injecter de l'argent dans ce qu'ils croient (encore et toujours)  être une martingale, le High Frequency Trading. Créant ainsi les bases d'une future crise de la même envergure, ou pire.

Pas cons, les gouvernants (les politiques) se disent qu'il ne serait pas inutile de se prémunir contre une nouvelle crise globale. Et ils décident, via le Comité de Bâle, d'imposer à la planète finance des règles prudentielles plus dures. C'est "Bâle III".

En résumé, on demande aux financiers d'avoir en soute assez de liquidités pour faire face à une crise majeure. Un truc assez logique finalement. Mais non...

Dimanche, le Comité de Bâle a plié face au lobby bancaire. Celui-ci faisait valoir (déjà-vu ?) que le secteur est encore convalescent, que la plupart des titres qu'il détient sont dépréciés (que vaut aujourd'hui la dette grecque ou espagnole ?) et surtout, que si l'on imposait des règles prudentielles trop strictes, le secteur aurait du mal à financer les entreprises (la fameuse soi-disant économie réelle). Et ça, ça inquiète beaucoup les gouvernements, parce que voyez-vous, une économie qui tourne au ralenti, faute de financement bancaire, c'est une récession qui pointe avec son lot de chômeurs, etc. L'enfer électoral.

Alors hop, on repousse à 2019 les règles prudentielles plus strictes imaginées au sortir de la crise de 2008.

Cool, on peut repartir comme en 40, se disent les banquiers. D'autant que, par exemple, vous pouvez toujours chercher un financier mis en examen ou condamné pour son rôle dans la crise des subprimes, vous n'en trouverez pas. La finance est le seul secteur de l'économie où quand on gagne, on gagne et quand on perd, on gagne. Sans jamais passer par la case prison, ou justice, bien entendu.

En attendant, les actions de ce secteur privilégié de l'économie, dont les acteurs ne font quasiment jamais faillite, quelles que soient leurs décisions abracadabrantesques, ont un léger impact sur les 99% de la population. Chômage, récession, austérité. Pour vous, pas pour eux. Le secteur des voitures de luxe par exemple ne s'est jamais aussi bien porté. A Ibiza ou à Saint-Trop, on continue de s'arroser les-uns-les-autres sur la plage à coup de bouteilles de champagne à plus de 1000 euros. Question de standing.

Les dirigeants des banques qui ont mené à la crise des subprimes ? Ils sont promus. Ils prennent la tête des Etats ou des banques centrales comme Mario Draghi. Tout va bien, merci pour eux.

Tuons ce messager !

Venons-en maintenant à John Kiriakou. Si vous ne le connaissez pas, il s'agit d'un ex-agent de la CIA.

Regardez-moi cette sale tête de traitre à sa patrie, à son service secret... Il encourt deux ans et demi de prison. Parce qu'il a donné le nom d'un autre agent comme source possible à un journaliste. #Saymal.

Non, trêve de blagues, ça, c'est pour la galerie. Ce qui a franchement énervé les autorités américaines, vous savez, celles menées par le gentil Barack Obama, celui qui devait fermer Guantanamo il y a déjà... Heu... Très longtemps (lire cet article de 2009), c'est que John a été le premier agent de la CIA a valider publiquement, à la télévision, ce que tout le monde savait : les Etats-Unis torturent. Oui, ils font des choses que l'on trouve dans des dictatures.

George Bush is not dead

Et ça, le gentil Barack Obama, prix Nobel de la paix, il ne peut pas l'accepter. Dans son pays, on torture, on écoute les communications de tous les américains sans contrôle d'un juge, on enferme des gens que l'on a enlevés à l'autre bout du monde sans perspective de procès, ni de sortie. L'arbitraire mené à son paroxysme (ou presque, le pire dans ce domaine ayant été les camps de la mort). Mais ça, il ne faut pas le dire. Silence dans les rangs !

Pourquoi vous parler de John Kiriakou dans un article sur les règles prudentielles de Bâle III ? Parce qu'il y a une similarité. Cherchez un coupable de torture, de meurtre, d'enlèvement, d'écoutes sauvages à qui la justice ait demandé des comptes. Vous ne trouverez pas. Au pire, un soldat subalterne qui a tué des civils en Afghanistan. Mais George Bush et ses faucons, non. Personne n'a dû rendre de comptes. Et les mêmes erreurs continuent. Les drones tuent des civils au Pakistan comme jamais sous l'ancienne Administration. Personne, sauf... John Kiriakou, celui qui a publiquement avoué que les Etats-Unis torturaient. Le messager, celui qui a verbalisé une vérité. Lui, on le condamne. C'est le monde tel qu'il est.

Et on attend toujours l'étincelle.

 

 

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée