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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Le Monde et l'élégant costume de Mario Draghi

Cet été quelques éditoriaux du Monde ont retenu notre attention. L’un sur Mario Monti, l’autre sur les jeux olympiques. Un édito est une prise de position, qui engage toute la rédaction d’un journal. Ces deux papiers n’auraient pas été incongrus dans le Figaro, ce qui pose question puisque Le Monde n’est a priori pas marqué politiquement comme le journal de la famille Dassault.

Cet été quelques éditoriaux du Monde ont retenu notre attention. L’un sur Mario Monti, l’autre sur les jeux olympiques. Un édito est une prise de position, qui engage toute la rédaction d’un journal. Ces deux papiers n’auraient pas été incongrus dans le Figaro, ce qui pose question puisque Le Monde n’est a priori pas marqué politiquement comme le journal de la famille Dassault. L’éditorial d’hier est assez étonnant et mérite quelques commentaires à peu près aussi subjectifs que ceux développés par Le Monde :

_ Semaines décisives pour la monnaie unique _Sur le front de l'euro, la rentrée a un nom, un seul : Mario Draghi. L'homme ne se départira pas, soyons-en sûrs, de cet élégant sourire en coin ni d'une courtoisie qui sont sa manière d'afficher calme et sérénité par gros temps.

Mario Draghi porte-t-il un sac Hermès du meilleur gout pour aller à la plage ? Est-il « élégant » au point de porter des costumes et cravates de haute couture, ou pousse-t-il l’élégance jusqu’à entrer dans un restaurant avant une femme au lieu, comme les rustres, de lui tenir la porte ouverte ? Quoi qu’il en soit ce commentaire sur l ‘élégance du sourire en coin du patron de la BCE était incontournable : il pose le ton de l’éditorial. Lecteur, tu l’auras compris, Le Monde va faire un panégyrique du patron de la BCE. Accroche-toi.

Mais l'avenir de la monnaie unique est plus que jamais entre les mains du président de la Banque centrale européenne (BCE).

Ah. Il n’est donc définitivement pas dans les mains des politiques qui ont le pouvoir, s’il le veulent, de désarmer les marchés, les mêmes que Le Monde va, dans quelques lignes rentre responsable de tous les maux de la zone Euro ?

C'est plutôt rassurant : cet Italien est un vrai européen - et, par les temps qui courent, l'espèce est rare, très rare, chez les dirigeants des pays de l'Union.

Le problème est-il d’être « européen » (à priori tous les dirigeants de la zone le sont, il n’y a pas d’Américain ou de Bhoutanais à la tête d’un pays européen) ou de vouloir mettre un terme à une course infernale qui finira dans le mur avec un impact d’une violence rare ? Car à ouvrir les vannes de l’argent facile à des pays qui sont en difficulté pour avoir, justement, profité au delà du raisonnable, de l’argent facile, il y a comme une sorte de volonté affichée de poursuivre sur la route de la catastrophe. Un enfant de douze ans peut comprendre cela.

M. Draghi a indiqué la semaine dernière à l'hebdomadaire allemand Die Zeit qu'il était prêt à prendre "des mesures exceptionnelles" pour sauver l'euro. En clair, la BCE va relancer un programme d'achat de Bons du Trésor pour soulager les deux grands pays de l'UE qui ont le plus de mal à se financer sur le marché : l'Espagne et l'Italie.

Ah. Nous y voilà.

Paulo nous en parlait ce matin en conférence de rédaction, organisée comme il se doit au Bar des Amis : puisqu’il n’y a plus un rond nulle part [fear ! le besoin de renflouement de l’Espagne et de l’Italie est évalué à grosso modo 800 milliards. Après le package dédié aux banques espagnoles, il restera 150 milliards d’euros à prêter pour le FESF et si le MES voit le jour, le total à prêter sera de 400 milliards. Faites des maths…], puisque des économies énormes sont sur la voie du défaut (Espagne et Italie pour faire court et optimiste), il faut trouver d’urgence une solution permettant de préserver le statuquo. Faisons croire au bon peuple que tout va continuer comme avant, que l’euro va s’en sortir , que les pays continueront à vivoter, que la consommation pourra reprendre (travailler plus pour consommer plus de choses inutiles et disposant d’un temps de vie extrêmement court. Comme dirait Anonymous :

LAAS - Life As A Service. You will rent your life).Il a raison. Madrid et Rome ont pris des décisions courageuses pour traiter au fond certaines des pathologies les affectant.

Des décisions courageuses ?

Ou stupides.

C’est selon, hein…

Tous les économistes à part quelques ultra-libéraux, qui sont ceux qui ont amené le monde où il est aujourd’hui, en conviennent : trop d’austérité enclenche une machine infernale qui annihile toute chance de reprise économique. Et même si reprise il y avait, et même si les taux auxquels emprunte l'Espagne revenaient à la moitié de leur niveau actuel, ce pays ne s'en sortirait pas.

Les Italiens et les Espagnols payent durement ces drastiques programmes d'assainissement budgétaire et de réformes de structure.

Et ? C’est quoi ? Un constat ? Une sorte de fatalité ? Du genre  "bon, voilà, c’est la cata, provoquée par l’ultra-libéralisme qui sévit depuis les années 80 sur la planète, mais bon, hein, pour que l’on puisse continuer, nous, à consommer des iPhones dernier modèle qui font la même chose que les précédents, tous les six mois, il faut que quelques peuples payent le prix, celui du chômage, de la crise économique, du démantèlement des services publics, des privatisations, de la pauvreté", on en passe.

Mais les marchés financiers n'en n'ont cure. Ils continuent à réclamer des taux exorbitants pour acheter les obligations publiques de ces deux pays.

Méchants marchés.

Au fait, c’est qui ces « marchés » ? Ah, oui, des banques comme Goldman Sachs, dont Mario Draghi a été vice président (pour la branche européenne) pendant trois ans. La même banque qui avait un peu aidé à ripoliner les chiffres de la dette de la Grèce. L’humour des banquiers est sans limite.

Cela mine la zone euro. La pénalité ainsi imposée à deux des plus grandes économies des 17 ajoute à la déprime ambiante en Europe - cette toile de fond de chômage massif et de croissance anémique. Compte tenu des efforts conduits dans ces deux pays, le différentiel de taux observé sur leur dette et sur celle de l'Allemagne est irrationnel.

Vraiment ? Les « efforts » (en d’autre termes, l’austérité) ne soignent pas un pays mourant en quelques jours ou même quelques mois. L’Espagne est dans une situation absolument catastrophique et elle ne s’en sortira pas avant longtemps. Mieux, le pire est à venir. Le centre (Madrid) peut bien décréter l’austérité maximum, la périphérie continue de délirer, les politiques et les entreprises de faire leur petit business habituel.

Par ailleurs, des marchés « rationnels », cela n’existe pas. On ne peut pas « rassurer » des marchés, quelles que soient les décision prises. On peut les désarmer.

Il est sans fondement macroéconomique sérieux. Enfin, ce différentiel est la négation même d'une monnaie unique.

Sans fondement macroéconomique sérieux ?

Sérieusement ?

Allo Huston, nous avons un problème.

Le secteur bancaire de l’Espagne est en train de collapser. C’est donc tout le pays qui menace de tomber en ruine, mais bon, hein, macroéconomiquement parlant ce n’est pas bien grave.

Quant au différentiel, rappelons que c’est justement parce que la Grèce ou d’autre pays, n’ayant pas tout à fait la même gestion que l’Allemagne, ont pu emprunter pendant des années avec les mêmes taux qu’elle, que les soucis d’aujourd’hui ont pris forme… Il faudrait savoir…

Les marchés n'ont confiance que dans la BCE. En laissant percer ses intentions, Mario Draghi a sauvé l'été : les taux se sont détendus sur la dette espagnole et, surtout, italienne.

Quel est l’intérêt de « sauver l’été » ? Mystère. Quant à l'effet tant attendu du rachat de dette par la BCE, ce petit graphique ci-dessous vous en montrera les effets : lamentables. Il ne suffit pas de racheter de la dette pour régler des problèmes macroéconomiques profonds. Cela permettra au mieux de gagner encore un peu de temps. Rien de plus.

M. Draghi devait préciser son plan d'intervention ce jeudi. Peut-être attendra-t-il une semaine de plus, le temps de connaître la décision que doit rendre le 12 la Cour constitutionnelle allemande. Celle-ci se prononce sur la conformité du fonds de secours financier des 17 - le Mécanisme européen de stabilité - à la Loi fondamentale allemande.M. Draghi a le soutien de la chancelière Angela Merkel et du président François Hollande, que l'été a un peu rapprochés. Les puristes de la Bundesbank sont les seuls à rechigner et à pointer les risques d'inflation. Mais s'ils n'ont rien à proposer pour empêcher l'Espagne et l'Italie de sombrer, qu'ils se taisent !

A ce stade, Reflets propose que Le Monde aille au bout de son idée et qu’il écrive « qu’ils se taisent, ces connards ! ».

M. Draghi impose une stricte conditionnalité aux interventions de la BCE. Les Etats doivent poursuivre les réformes.

Tiens mon gars, reprends donc une petite dose d’austérité, c’est de la bonne. Et en plus, quand tu en auras pris assez, on va pouvoir revendre les services publics au secteur privé qui lui, est un bon gestionnaire, c’est bien connu. Cerise sur le gâteau, ce sont les banques comme Goldman Sachs qui seront conseils.

Parce qu'il les sauve, les gouvernants des 17 doivent à l'Italien de mener à bien la réfection de l'architecture de l'euro. Il s'agit, pêle-mêle, de boucler le Pacte budgétaire et d'aller vers une union bancaire.

Mario-le-sauveur risque bien d’être le sauveur de l’été, de la rentrée et de quelques mois de plus. Mais pas le sauveur du système qui est en train de s’écrouler.

L’inertie est trop forte pour arrêter cette chute, à moins de désarmer les marchés.

Notez que les marchés ont intégré depuis quelques temps déjà l’annonce que va faire Mario Draghi, qui n’a pas su tenir sa langue. On aura donc dans quelques jours une Espagne et une Italie qui emprunteront probablement à peu près aux mêmes taux qu’aujourd’hui. C’est à dire environ 6%.  Un taux difficilement soutenable.

L’union bancaire est quant à elle une vaste blague. Ce sont la BCE et la European Banking Authority qui seraient chargées de la supervision du secteur financier. La même BCE qui a injecté 1000 milliards d’euros sur les marchés via les établissements financiers, contribuant à masquer la réalité de la crise de la dette.

La seconde a réalisé deux séries de fameux stress tests supposés mesurer la santé des banques européennes (2010 et 2011). Or pas plus lors des stress tests de 2010 que lors de ceux de 2011, l’EBA n’a vu venir la catastrophe en Espagne.  Pas plus, non plus, que celle qui a frappé Bankia la banque espagnole qui vient d’être plus ou moins sauvée par le gouvernement Rajoy contribuable espagnol, que celle d’autres banques qui, bien qu’ayant passé haut la main lesdits stress tests se sont écroulées par la suite.  Tout va bien, on vous dit…

Il ne faudrait pas qu'on dise un jour que le seul homme d'Etat de la zone aura été le patron de la BCE !

Quel grand homme ce Mario quand même.

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