Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Le gouvernement français n'a aucune idée sur les avoirs libyens qu'il veut saisir

Les déclarations se multiplient pour tenter de faire oublier les errements de la diplomatie française. Empêtré dans les scandales liés à l'attitude de Michèle Alliot-Marie, Nicolas Sarkozy veut reprendre la main. Il a tant misé sur la stature internationale que peut lui conférer la présidence du G20 qu'il ne peut raisonnablement laisser les révolutions du monde arabe et le traitement pathétique qu'en fait la France lui ravir ce moyen de se relancer en France et à l'étranger.

Les déclarations se multiplient pour tenter de faire oublier les errements de la diplomatie française. Empêtré dans les scandales liés à l'attitude de Michèle Alliot-Marie, Nicolas Sarkozy veut reprendre la main. Il a tant misé sur la stature internationale que peut lui conférer la présidence du G20 qu'il ne peut raisonnablement laisser les révolutions du monde arabe et le traitement pathétique qu'en fait la France lui ravir ce moyen de se relancer en France et à l'étranger. Du coup, le voilà pressant l'Europe de prendre des sanctions à l'égard du colonel Kadhafi, envoyant des équipes médicales en Libye, missionnant tous ses ministres pour aller parler à la radio et à la télévision de la situation dans ce pays.

Immanquablement, une question se pose : Nicolas Sarkozy brasse-t-il du vent ou est-il réellement en train d'agir pour le bien des pays arabes en transition?

La semaine dernière, le Canard rapportait les propos du président : il fallait un ministre chaque semaine en Tunisie Ce week-end, c'est Alain Juppé qui se rendait place Tahrir. Christine Lagarde l'avait précédé. Quel sera le prochain ?

En tout cas, on a eu un ministre par jour, quasiment, pour nous expliquer que la France allait lancer une vague d'aide à la Tunisie, que l'on était les premiers à envoyer deux avions chargés de médecins et d'aide en Libye, etc.

Le 26 février, Bercy publiait un communiqué de presse indiquant que tout mouvement suspect lié à la Libye devait faire l'objet d'une déclaration à Tracfin. L'idée étant bien entendu d'éviter que le colonel Kadhafi puisse générer du cash en vendant des participations, en liquidant des titres ou en rapatriant des fonds liquides.

Avec son mauvais esprit déjà légendaire, reflets.info posait mercredi 2 mars une série de questions au service de presse de Bercy. Histoire de voir si, au delà des mots, la France savait ce qu'elle faisait.

A ce stade il nous faut rappeler la liste de nos questions:

  • Sait-on quel est le montant des avoirs libyens détenus par des banques françaises ou ayant une présence en France ?
  • La répartition de ces avoirs (appartenant directement au colonel Kadhafi ou sa famille, au gouvernement libyen, aux entreprises libyennes, etc.) ?
  • Quelles banques françaises gèrent des avoirs notamment détenus par la Libyan Investment Authority (LIA) ?
  • Pour quels montants et dans quelles activité (gestion de fonds, participations) ?
  • La répartition des avoirs de la LIA en France (participations dans des entreprises) ?
  • La France a-t-elle gelé des avoirs libyens et si oui, quelle est la répartition de ces avoirs ?

En ce qui concerne les importations de pétrole :

  • La France est destinataire d’environ 10% des exportations de pétrole libyen. La production libyenne a été réduite d’environ 50% ces derniers jours. Il reste donc 5% des Exportations qui continuent d’arriver en France. Quelles sont les procédures administratives et financières qui encadrent les importations de pétrole ?
  • Des autorisations de l’Etat sont-elles nécessaires ?
  • Les entreprises pétrolières sont-elles totalement libres d’importer ce pétrole. Comment sont effectués les règlements financiers et auprès de qui en Libye ?

Plusieurs pays se sont lancés dans une opération de gel d’avoirs libyens, comme le rapportent RFI et le site de Jean Quatremer.

La Suisse, dont le secret bancaire irrite certains pays européens, a paradoxalement été la première à agir. Elle a annoncé le 24 février qu'elle gelait les avoirs libyens. Le cliché sur le côté "ralenti" des Suisses (y'a pas le feu au lac) en prend un coup. Les autorités de ce pays ont visiblement pu identifier des avoirs libyens plus vite que la France...

Les Etats-Unis ont suivi avec un "executive order" du président américain. Un document très précis, permettant aux autorités de disposer d'un spectre d'action large.

En France nous avons donc un petit "communiqué" de presse de Tracfin.

Les autorités font-elles quelque chose pour identifier ces avoirs ? Les questions posées à Bercy par mail mercredi matin n’avaient pas reçu de réponse en milieu d’après midi. Nous avons donc décidé de les poser publiquement. Dans l’article et en relançant Bercy via Twitter. En fin de journée mercredi, Bercy nous envoyait un tweet :

_Bercy_Ministères de Bercy @ @_reflets_ L'équipe @_bercy_ n'a pas d'autre réponse à vous apporter que celles dispo sur http://bit.ly/tracfin merci de votre compréhension

Notre mail restera définitivement lettre morte, personne n'ayant pris la peine, même par simple politesse, de nous répondre.

Paris ne sait donc rien des avoirs qui doivent être gelés. Pourtant, sur RMC, Laurent Wauquiez semblait avoir des idées

Voyant Bercy tellement perdu dans un brouillard épais, Reflets.info a donc décidé de donner un petit coup de main au président Nicolas Sarkozy et ses amis pour qu’ils puissent commencer à tirer des fils.

Tout d’abord, il faut comprendre par quels biais les Libyens investissent et où. C’est l’Italie qui remporte le pompon. La Grande Bretagne, comme l’indiquait le patron de la LIA  (câble Wikileaks), est une destination de choix car les entraves aux investissements y sont minimes. Participations dans des entreprises, immobiliers, dépôts… La Libye est éclectique. Mais elle est surtout très liquide. C’est à dire qu’elle fait en sorte, autant que possible de pouvoir, à tout moment, récupérer sa mise. Aux Etats-Unis, Goldman Sachs, JP Morgan et Citigroup sont parmi les banques qui géraient de tels avoirs. Le montant estimé de ces fonds en Europe et aux Etats-Unis est tout de même de 62 milliards de dollars. Une paille.

Un lecteur du Financial Times s'étonne : par quels moyens légaux M. Kadhafi et sa famille pouvaient-ils gagner de telles sommes ? Dans ce cas, comment a-t-il pu contourner les lois anti blanchiment ? Le bon sens près de chez vous... La LIA détient d'ailleurs une petite participation dans le FT qui a été gelée par Londres.

Le pays investit au travers d’une multitude fonds d’investissements (LIA, ESDF, SSFI, LAIP, LAICO, LAFICO, etc.). Selon un connaisseur du domaine, il suffisait qu’une personne soit bien en cour pour se voir attribuer un capital conséquent à investir par le biais d'un nouveau fonds.

Disposant d’un volume important d’avoir liquides (dépôts, bons du trésor, etc.), la Libye a fort bien pu les négocier dès le début des troubles, et pourrait tout à fait continuer de le faire en ce moment.

Ces transaction peuvent aisément passer inaperçues, commente pour Reflets.info un financier. "Il y a une multitude de sociétés écrans, de paradis fiscaux sur le chemin et il est très compliqué d’y trouver le nom du colonel Kadhafi ou de ses proches. Les prête-noms sont légion", souligne-t-il. En outre, « des opérations de 20 millions de dollars, ça passe complètement inaperçu. Pour vous donner une idée, prenez les montants rapatriés chaque année vers le Maroc par les personnes originaires de ce pays qui travaillent en France. Ce sont plusieurs milliards ».

Reste que les transactions financières laissent des traces. Quelques unes tout du moins.

Les chambres de compensation comme Clearstream permettent de voir quels mouvements ont lieu entre banques. Evidemment le détail des particuliers ou entreprises n’apparaitront pas. Mais de nombreuses banques ont une participation importante ou majoritaire libyenne à leur capital. Elles seraient assez logiquement les vecteurs privilégiés pour des opérations de liquidations d'avoirs.

Il y a aussi SWIFT qui permet aux banques d’échanger des fonds pour le compte de leurs clients. Il existe également des logiciels qui permettent d’alerter en temps réel les banques sur des transactions douteuses. Les Etats-Unis ont obtenu un accès aux données SWIFT dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

De nombreuses bases de données américaines permettent de faire ressortir le moindre mouvement associé à un nom ou une personne, y compris avec des erreurs de typographie.

L'Office of Foreign Assets Control (OFAC) remplit ce rôle de surveillance au sein du département du Trésor et a déjà intégré la Libye dans sa liste.

Voilà pour les transactions simples, faites dans l'urgence par Tripoli et les moyens de les retracer. Reste la présence de la Libye dans le secteur bancaire international. Elle n'est pas négligeable. Par exemple, l'Arab  Banking Corporation est détenue majoritairement par la Libye, ce qui n'était pas le cas à sa création. Cette banque est présente à Paris depuis de très nombreuses années, ce que Bercy sait parfaitement.

L'ABC s'est empressée de publier un communiqué de presse pour expliquer qu'elle n'était pas concernée par l'executive order de Barak Obama ou la décision de l'ONU.

Le Président de l'ABC est M. Farhat Omer Bengdara, par ailleurs, gouverneur de la Banque centrale de Libye et membre du directoire d'UniCredit (vice Chairman). Mais il est aussi au directoire de la LIA.

Entre autres postes, comme l'indique sa fiche Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Farhat_Bengdara.

Loin de nous l'idée de mettre en cause M. Bengdara et l'ABC, mais il faut avouer que l'idée qu'un gouverneur de banque centrale soit par ailleurs président d'une banque privée a de quoi intriguer. Imaginons un instant que Christian Noyer soit également au board de BNP Paribas...

Le communiqué de l'ABC est tout de même un peu étonnant.  Cette banque appartient à la Libye. On voit mal au nom de quoi elle ne ferait pas l'objet de toute l'attention des autorités américaines et européennes.

Autre pays, autres moeurs sans doute... Dans la série des incongruités, selon nos sources, la banque centrale de Tunisie détenait un compte dans une grande banque internationale à Genève. Le gouverneur de la banque centrale tunisienne y plaçait, nous dit-on, des fonds pour le compte de Zine Ben Ali. Bien entendu, la banque internationale en question était au courant. Il se trouve que depuis la chute de Zine Ben Ali et la suite des événements en cours, cette même banque refuse désormais d'ouvrir des comptes pour des Tunisiens, de peur qu'ils aient été proches de l'ancien pouvoir et que cela nuise à son image, si un journaliste venait à le découvrir.

Cette petite histoire démontre que prête-noms ou pas, les banques en savent plus qu'elles ne le laissent entendre. On peut donc raisonnablement s'interroger sur la position de la Fédération française des banques qui ne sait rien, dit-elle, sur les avoirs du Colonel Kadhafi dans les banques françaises. Ailleurs, en Suisse, en Autriche, lesdits avoirs ont été saisis. C'est bien qu'ils ont pu être identifié, et avec une certaine célérité.

Oh, mais c'est bien sûr... Sommes-nous stupides, c'est probablement que le colonel Kadhafi et ses proches n'ont pas d'avoirs en France. Ceci expliquerait pourquoi en dépit des grandes déclarations de l'hôte de l'Elysée, rien n'ait encore été officiellement saisi dans ce pays.

 

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée