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par Antoine Champagne - kitetoa

La Troïka et le FMI ne touchent pas aux dépôts des petits épargnants de Chypre. Vraiment ?

Réjouissez-vous foules en folie... L'Europe est sauvée ! L'Euro aussi. Pour la énième fois, après plus de 25 sommets de la dernière chance, les (ir)responsables politiques vous le disent : tout va bien. Ah, oui..., on sait, vous avez un peu flippé parce que pour la première fois, les politiques n'ont pas simplement conditionné l'aide financière à plus d'austérité, ils ont décidé de prélever l'argent des citoyens directement sur leurs comptes bancaires.

Réjouissez-vous foules en folie... L'Europe est sauvée ! L'Euro aussi. Pour la énième fois, après plus de 25 sommets de la dernière chance, les (ir)responsables politiques vous le disent : tout va bien. Ah, oui..., on sait, vous avez un peu flippé parce que pour la première fois, les politiques n'ont pas simplement conditionné l'aide financière à plus d'austérité, ils ont décidé de prélever l'argent des citoyens directement sur leurs comptes bancaires. Et initialement, en rayant d'un trait l'idée que les dépôts bancaires sont "assurés" à hauteur de 100.000 euros.  Là, amies foules européennes, vous vous êtes dit que, peut-être, cela pourrait arriver un jour chez vous. Que votre argent pourrait partir en fumée, lorsque le bateau ivre arriverait en bout de course contre l'iceberg qui ne cesse de grandir depuis 2008 à mesure qu'il se rapproche (ou que l'on se rapproche inexorablement de lui). Certains, plus avisés, ont compris que le Titanic était à cours de ressources et que si les dirigeants en étaient réduits à demander une ponction sur les dépôts bancaires des particuliers (qui n'ont rien fait pour que la crise dégénère à ce point), c'est que vraiment, ils sont à cours de ressources. Souvenez-vous, depuis le début des plans de sauvetages de la dernière chance, on évoque l'implication des "fonds de soutien" européens. Il n'a jamais été question de ponctionner les comptes bancaires des particuliers.

Les lecteurs assidus de Reflets le savent, les fonds de secours mis en place par l'UE sont morts-nés. D'une part les Etats sont à court de fonds, y compris ceux qui sont encore debout. La France n'est-elle pas en "faillite" ? C'est l'ancien premier ministre François Fillon qui le disait. Quant à l'Espagne ou le Portugal, qui sont les bénéficiaires de ces fonds, ils en sont aussi les contributeurs. Quelqu'un à Bruxelles a encore une once de logique ou pas ?

Quant aux décisions consistant à ajouter de l'austérité à une crise qui se caractérise par une raréfaction des prêts aux entreprises, mais aussi, parallèlement, bien évidemment, par un gel des dépenses publiques (c'est ça l'austérité, avec un pincée d'impôts en plus)... Il faudrait être complètement idiot pour ne pas comprendre que les répercussions seront terribles. Principalement pour les couches basses et moyennes des populations des pays visés.

Nous avançons donc vers une récession profonde et durable, avec un taux de chômage insupportable et, à terme, vers des mouvements sociaux extrêmement violents. Ce n'est ni verser dans le catastrophisme ou on ne sait quel complotisme que de dire cela, c'est simplement faire preuve de bons sens. Tout comme chacun sait que le payeur en dernier ressort sera... le citoyen. Pas le système financier, pas les politiques, pas la ou les banque(s) centrale(s). Les premiers nous ont amenés où nous en sommes, les deuxièmes et troisièmes ont pris des décisions stupides et contre-productives. Mais, merci pour eux : tout va bien.

Enfin, cette fois, les petits épargnants sont épargnés

Après avoir initialement annoncé que tous les dépôts seraient affectés par un prélèvement au service du plan de sauvetage de Chypre, l'UE et le FMI ont finalement accepté de ne "taxer" que les dépôts au delà des fatidiques 100.000 euros. Conclusion ? Les petits épargnants sont épargnés. Logique ?

Oui, mais non.

Çà, c'est le storytelling façon Nicolas Sarkozy. Deux pas en avant, un pas en arrière pour faire croire que l'on prend en compte l'avis de la population.

Notez au passage que le plan a été passé en dehors de tout contrôle démocratique, le parlement de Chypre ayant montré la semaine dernière qu'il ne comptait pas laisser passer les accords abracadabrantesques de l'UE. Le fait d'écarter les citoyen n'est pas anodin. C'est un signal qui montre que ceux qui vont supporter le poids de l'accord... sont les citoyens.

Que nous dit la newsletter éco du Monde de ce jour sur cet accord ?

La proposition d'accord prévoit de mettre en place une banque assainie ("good bank") et une structure de défaisance ("bad bank"), ce qui conduira notamment à la fermeture de Popular Bank of Cyprus, la deuxième banque du pays, dite Laïki. Les dépôts de moins de 100000 euros de Laïki seront transférés, selon les termes de l'accord, à Bank of Cyprus, première banque du pays. Les dépôts de plus de 100 000 euros, non assurés suivant les règles de l'UE, seront gelés et serviront en partie à financer le renflouement des banques. Chypre devrait obtenir début mai la première tranche du plan de sauvetage international de 10 milliards d'euros, a déclaré Klaus Regling, directeur général du Mécanisme européen de stabilité.  La situation financière de Chypre ne comporte pas de risque de contagion, aucun autre pays de la zone euro ne présentant les mêmes caractéristiques économiques, a déclaré hier à Bruxelles le ministre de l'économie, Pierre Moscovici.

Premier point, ce plan contredit tout ce qui a été fait jusqu'ici par l'UE et le FMI pour acheter du temps (avancer moins vite vers l'iceberg).

Souvenez-vous de ce que disait Mario Draghi le 6 septembre 2012. Le patron de la BCE annonçait un programme illimité de rachat de dette des pays de la zone euro ayant du mal à se financer sur les marchés... sous conditions. Depuis ? Rien. Aucun rachat illimité. Avec quelques mots, le patron de la BCE avait "calmé" les marchés qui comprenaient, eux, que la BCE ne les laisserait pas tomber (à l'inverse des couches les plus défavorisées de la population). Mais en liant les mots "illimité" et "sous conditions", il montrait que illimité voulait dire... limité. Pas grave, à l'époque, personne ne se focalisait sur ce point puisque l'on avait acheté encore un peu de temps et que l'Espagne était "sauvée". Comprenez : le secteur bancaire espagnol pouvait continuer de fonctionner. Parce que la population espagnole, elle, continuait sa descente aux enfers.

Nous voyons donc aujourd'hui avec Chypre, qu'il y a deux poids, deux mesures en Europe. Certains bénéficieront de "rachats illimités" de dette publique pour sauver le secteur financier (privé). D'autres devront ponctionner les comptes des particuliers. Le communisme fondu dans l'ultra-libéralisme, on n'est pas à une contradiction près.

Deuxième point, Pierre Moscovici nous refait le coup de "Aaaaah, mais attention, hein, Chypre n'a rien à voir avec tel ou tel autre pays". Une antienne resservie à chaque sauvetage. La Grèce, l'Irlande, l'Islande, le Portugal, l'Espagne, tous étaient "différents" des précédents, who's next ? Pour ceux qui s'intéressent à autre chose que les indices boursiers actions (qui d'ailleurs, vont mal aujourd'hui), le 10 ans espagnol repart à la hausse. C'est "moyen bon signe", comme dirait Paulo, du Bar des Amis.

Rien à voir peut-être, mais comme à chaque fois, suffisamment à voir pour que les politiques craignent une contagion, une explosion de l'Euro. Au point de prendre des décisions abracadabrantesques.

Vous nous direz que depuis des années, Reflets réclame que le secteur financier soit traité comme n'importe quel secteur économique, c'est à dire qu'on le laisse faire faillite quand il fait faillite, au lieu d'utiliser des fonds publics pour lui sauver la mise. Et cette fois, c'est bien ce qui semble arriver puisqu'une banque va faire faillite.

Oui, mais non.

Il faut toujours une victime expiatoire pour satisfaire les foules enragées. Cette fois c'est Laïki. Bien avant, ce furent, le Banesto, Lehman Brothers, la banque Pallas Stern, etc.

Mais le reste du système, qui a fait exactement les mêmes conneries, qui en est exactement au même point, qui a emporté toute une population dans l’abîme... Il va bien, merci. A ce propos, notez que pour Chypre, comme pour les autres pays, ils allaient très bien il y a deux semaines, et que d'un coup d'un seul, ils sont au bord du gouffre. La BCE a menacé Chypre de ne plus refinancer ses banques (elle ne veut pas refinancer des banques en faillite) si le pays n'acceptait pas le plan. Mais dites-donc... Il y a deux semaines, elles n'étaient pas en faillite quand la BCE les refinançait ? Hum... De même, Paris et le reste de l'Europe découvrent aujourd'hui, tout d'un coup, que Chypre était une grosse lessiveuse et que sons système bancaire était un tout petit peu comme une sorte de paradis fiscal. Suuuurpriiiiiseeeeuuu... Seriously ?

Troisième point, l'accord passé pour Chypre est sans aucun doute le premier d'une série. La Grèce est passée par là et peut témoigner du nombre de plans chaque fois plus austères que l'UE et le FMI lui ont imposés. Lorsque l'on commence aussi fort, en allant piquer dans la caisse des populations, c'est que les prochains plans de la dernière chance pour Chypre seront sacrément violents. Les Chypriotes, s'ils ne sont pas idiots, vont peu à peu siphonner leurs comptes. Le bank run est à peu près inévitable dans le pays.

La question étant de savoir s'il s'étendra aux autres pays comme l'Espagne, le Portugal ou l'Italie. Un bank run, c'est un truc rigolo : on récupère une peu de liquide, si les banques veulent bien le rendre, mais on flingue l'ensemble du système économique du pays. Les entreprises font faillite en masse, le chômage explose. Et in fine, on retrouve les plus faibles qui payent à la place des plus forts. Une habitude, une routine bien huilée.

Enfin, la situation de blocage ou de repli forcé sur soi de Chypre avec la fermeture des banques, le contrôle des flux de capitaux qui devrait être imposé lors de leur réouverture démontre que l'explosion de la zone euro est en cours. Franchement, est-ce qu'il y a un journaliste dans la salle pour demander à Angela Merkel, François Hollande et Christine Lagarde s'ils sont prêts à virer toutes leurs économies en euros sur un compte dans une banque chypriote ? Histoire de voir si un euro chypriote vaut la même chose qu'un euro allemand ou français... Juste pour pour le Lulz, hein...

C'est ki ki paye ?

Il faudrait une bonne dose de mauvaise foi pour assurer que l'accord passé avec Chypre par l'UE et le FMI bénéficiera à la population du pays. Bien sûr, on trouvera les producteurs officiels de caca de taureau habituels pour dire que c'est le meilleur accord possible et qu'il règlera la situation de manière définitive.

Comme Jeroen Dijsselbloem, le chef de file des ministres des Finances des dix-sept, pour qui l'accord "met fin aux incertitudes concernant Chypre et la zone euro". Sans rire ? Comme les précédents accords avec la Grèce, le Portugal, L'Espagne, l'Irlande,... qui mettaient fin aux incertitudes concernant la zone euro ?

Ou comme le porte-parole du gouvernement chypriote, Christos Stylianides pour qui «Finalement, Chypre sort d’une période d’incertitude et d’insécurité pour l’économie. Un défaut de paiement a été évité, ce qui aurait signifié une sortie de la zone euro, avec des conséquences dévastatrices» (...) «La chose importante est que nous ayons trouvé un accord qui nous permet de relancer l’économie et de tout remettre à plat pour un nouveau départ».

Tu m'étonnes... L'insécurité pour l'économie de Chypre, c'est fini. Jusqu'à demain. Après, c'est une lente descente aux enfers qui s'annonce. L'économie reposait jusqu'il y a une semaine sur... Le système bancaire très accueillant pour les capitaux étrangers. Ceux-ci vont plutôt s'envoler qu'affluer en masse dans les années à venir. L'économie du pays est condamnée.

Ce plan traite le problème des banques chypriotes "à travers une stratégie claire qui assure la soutenabilité de la dette et ne présente pas un fardeau excessif pour le contribuable chypriote" fournissant "la base pour restaurer la confiance dans le système bancaire", a pour sa part estimé l'inénarrable Christine Lagarde, patronne du FMI. La même qui voyait à chaque fois la Grèce repartie sur les rails de la croissance. Ce sont exactement les mêmes termes. Un copier coller des communiqués de presse. Comme quoi, elle se contrefout de ce qui se passe dans ces pays, elle ne prend même pas la peine de faire faire un communiqué différent par son secrétariat:

We believe the plan provides a durable and fully financed solution to the underlying problems facing Cyprus and places it on a sustainable path to recovery.

et :

"The IMF’s continued support would be part of an integrated package where all parties—the Greek government, its European partners, the private sector, and the Fund—would play their part to help the Greek people overcome this crisis and over time restore growth, thus contributing to broader global financial stability".

 

Alors... C'est qui qui paye cette fois ?

Prenez le système bancaire chypriote et tous les dépôts qui y sont stockés. D'après vous, quand les banques vont rouvrir, que va-t-il se passer avec les fonds ? Pensez-vous que les petits épargnants pourront récupérer leurs fonds facilement ? Essayez d'ailleurs en France, c'est assez intéressant. Présentez-vous à votre agence, si vous avez quelques économies sonnantes et trébuchantes et demandez à tout récupérer en liquide. Vous allez être étonné de ce qui se passera. Mais revenons à Chypre. Sortir les liquidités et éventuellement les placer sur un compte ailleurs en Europe sera... impossible pour les chypriotes. En revanche, les grosses fortunes pourront probablement faire des petits virements swift ou autre qui fonctionneront très bien.

Lors de notre émission de radio sur la crise, une personne du public avait demandé à tous nos invités qui payait "à la fin". Réponse en coeur et en sourire : "mais vous !".

Idem en Grèce, en Espagne, au Portugal, à Chypre. Ceux qui payent, ce sont ceux qui seront au chômage dans quelques jours et qui verront leurs impôts grimper en flèche. Sans vouloir lire dans une boule de cristal, il n'y a aucune chance pour que les politiques ou les responsables des banques chypriotes soient au chômage avant très longtemps. Pas plus que ceux qui ont pris ces décisions abracadabrantesques au niveau politique pour gagner du temps.

 

 

 

 

 

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