Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par KheOps

Internet : l'ami des dictateurs ?

Ceci est une réaction au papier du Monde intitulé "L'information en ligne, l'autre conflit syrien", écrit par Shahzad Abdul. Elle est écrite par n4rim, que vous pouvez croiser sur IRC. Honnêtement, commencer un article sur la Syrie avec une citation de Evgeny Morozov, « Internet sera le meilleur ami des tyrans », c'est assez gonflé. En tout cas, moi, ça me choque.

Ceci est une réaction au papier du Monde intitulé "L'information en ligne, l'autre conflit syrien", écrit par Shahzad Abdul. Elle est écrite par n4rim, que vous pouvez croiser sur IRC.

Honnêtement, commencer un article sur la Syrie avec une citation de Evgeny Morozov, « Internet sera le meilleur ami des tyrans », c'est assez gonflé. En tout cas, moi, ça me choque. Alors c'est probablement parce que je passe trop de temps sur IRC, trop de temps derrière un écran mais, non, définitivement, j'ai du mal à penser que l'on puisse commencer un article avec un "Internet saimal".

Je m'explique.

Internet n'est pas le meilleur ami des tyrans

C'est d’ailleurs l'ami de personne. Internet est un outil, il n'est ni bon ni mauvais, il est.

Internet est, ou sera, nuisible à toutes les dictatures, à tous les systèmes autoritaires, à toute hiérarchie. Par un phénomène assez simple, décrit depuis plusieurs années par les cybernéticiens comme Niklas Luhmann : plus vous augmentez la complexité, les échanges, les possibilités de communications entre les personnes, plus la hierarchie doit se complexifier pour garder le contrôle sur la base.

Or, Internet augmente considérablement le nombre de connexions entre les gens. Et donc, indubitablement, les relations entre les citoyens se font plus nombreuses, et, petit à petit, le pouvoir en place chancelle jusqu'à tomber. Sauf si dans sa chute il se transforme en quelque chose de plus souple, de moins pyramidal. Cela me semble inévitable.

D'autant plus inévitable quand je vois avec quelle facilité on peut entrer en contact avec des dissidents syriens, copier, relayer leurs infos. Comment on peut les aider à faire sortir de l'info, comment ils apprennent sur les conseils de Telecomix à contourner la censure. Tout ça est beaucoup trop souple, trop agile, trop mouvant pour être contrôlé par un système bêtement pyramidal. Et, quand on fait la somme de toutes ces actions je suis persuadé que le régime en pâtit beaucoup plus qu'il n'en profite.

Internet est un instrument du régime

Bien sur, le régime de Bachar Al-Assad contrôle beaucoup de choses. Une des premières cibles sont les réseaux sociaux, ce qui est logique quand on voit la masse d'informations personnelles qui circulent. Quand on lit l'article on a l’impression qu'Internet est uniquement un moyen de traquer et de persécuter les "rebelles". Mais c'est faux, et c'est surtout approximatif.

De la même façon qu’un résistant qui utilise son téléphone portable sera localisé, un activiste qui poste une vidéo sur YouTube sans précaution le sera tout autant. Cela ne fait pas du téléphone mobile une arme du régime. Cela ne fait pas d'Internet une arme du régime non plus.

Encore une fois, Internet est un média, ni bon ni mauvais, il relaye juste les infos que l'on met dessus. Et cela peut être de la propagande, c’est vrai, mais cela peut aussi être des messages libertaires :

Data is neither good nor bad

L'Internet syrien, un Internet sans faille !

Alors là, j'avoue, j'ai ri.

Apprendre que l'Internet syrien est totalement contrôlé, que rien n'en sort, rien n'y entre, c'est franchement drôle. En cherchant un peu on trouve pourtant facilement des chan IRCoù l'on peut chatter avec des résidents syriens. En cherchant un peu on trouve aussibeaucoup de photos, de vidéos qui proviennent tout droit de la Syrie. On trouve même des mecs assez fous pour bidouiller des serveurs VPNpour contourner les pare-feux syriens.

C'est vrai, les Syriens doivent chiffrer leurs données, «[Il faut souvent faire transiter les vidéos par l’étranger](http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/08/13/la-guerre-cybernetique-l-autre-conflit-syrien17454313218.html "lemonde.fr") » , mais ce n'est pas franchement compliqué – pas plus que d'installer Mumble – et vraiment efficace. C'est vrai que les résistants se font arrêter, torturer pour avouer leurs mots de passe Facebook ou Twitter, mais ils sortent aussi de Syrie une quantité phénoménale de données, à tel point, que rarement on aura eu autant d’archives sur une guerre civile dans un pays complètement renfermé sur lui même.

Plutôt que de faire des articles alarmistes, pourquoi ne pas relayer les solutions pour contourner le problème? Cela me paraîtrait rudement plus efficace, d’expliquer pourquoi il ne faut pas utiliser Skype quand on veut garder son anonymat. Pourquoi ne pas expliquer comment utiliser un VPN ou Tor pour sortir des infos de Syrie sans se compromettre ?

Dans des situtations délicates comme celle de la révolution syrienne, il convient de ne pas idéaliser mais de ne pas assombrir le tableau non plus. Internet ne sauvera pas le monde et ne rendra pas plus horrible un régime qui l'est déjà, il contribue juste à mettre les citoyens de différents pays en relation et c'est déjà beaucoup.

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