Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

Il n'y a plus de crise, mais un problème de compétitivité

Nous sommes en 2013. Cinq longues années après l'embrasement financier venu d'outre-atlantique. Les banques au bord de l'écroulement se sont vues "refinanciariser" par les Etats, et donc, par les finances publiques : elles vont bien, (les banques, pas les finances publiques) merci à elles. Ces mêmes Etats ont injecté de l'euro à ne plus savoir qu'en faire pour pallier la tempête qui soufflait. Dans la finance et le CAC 40 surtout, l'injection.

Nous sommes en 2013. Cinq longues années après l'embrasement financier venu d'outre-atlantique. Les banques au bord de l'écroulement se sont vues "refinanciariser" par les Etats, et donc, par les finances publiques : elles vont bien, (les banques, pas les finances publiques) merci à elles.Ces mêmes Etats ont injecté de l'euro à ne plus savoir qu'en faire pour pallier la tempête qui soufflait. Dans la finance et le CAC 40 surtout, l'injection. Au passage, ils vont bien (la finance et le CAC, pas l'euro), eux aussi, merci encore à eux.

Mais les machines à cash de ces mêmes banques se sont ralenties, les marchés publics se sont vus réduits à peau de chagrin, comme les différentes aides publiques. L'austérité a été mise en place partout en Europe, comme en France, contre l'avis des populations, avec même, pour ce dernier pays, un candidat à la présidence qui fustigeait la dite austérité avant de la mettre en place une fois élu.

Plus vraiment de croissance, ou si peu. Normal. Logique : il suffit d'aller lire les différents rapports d'instituts économiques (depuis au moins 3 ans) pour savoir que ce serrage de vis budgétaire généralisé était suicidaire. Suicidaire pour l'économie réelle, celle qui permet aux gens d'avoir un travail et de gagner leur vie. Pas pour l'autre, celle qui échange quotidiennement 5 fois le volume d'or existant sur terre.

Même le FMI s'est pris à douter et a dû avouer s'être trompé sur les effets bénéfiques de l'austérité, c'est dire. L'affolement politique de 2008, suivi de la mise en cause des pratiques délétères quasi mafieuses des grandes banques, fonds de pension et autres organisation spéculatives, la problématique des paradis fiscaux qui aspirent les recettes des Etats et les plongent dans une dette artificielle, les destructions sociales doublées de bénéfices gigantesques par les grandes entreprises ; tout ça a été oublié en 2013. Au profit d'un unique facteur (résiduel) de "crise" , la compétitivité !

Génie politique

Il faut un certain génie pour arriver à retourner avec autant d'habileté un problème : le libéralisme débridé, qui a pour but de privatiser tous les pans de la vie en société et de voir l'Etat réduit à une portion congrue, ce libéralisme débridé a trouvé le moyen— après pourtant avoir été accusé de tuer l'économie par ses abus— d'accuser à son tour les victimes de ses propres délits d'être la cause des problèmes économiques. Ce n'est donc plus la financiarisation de l'économie qui est en cause, ni les pratiques ultra spéculatives, mais les salariés qui coûtent trop cher ! Extraordinaire retournement : les voleurs de poule se retrouvent gardiens de poulailler… Salauds de salariés qui plombent les entreprises hexagonales !

C'est donc un mot qui est dans toutes les bouches des "décideurs politiques", un mot qui serait en réalité le centre de tous nos maux : la compétitivité. Plus clairement : ce n'est plus la déconnexion des cotations en bourse qui atteignent des sommets, alors que la croissance est autour de zéro, qui pose problème. Ce n'est plus le robinet des prêts fermés par les mêmes banques sauvées par les populations contre leur gré (aux populations) qui freine l'économie. Ce n'est plus, non plus, le retour aux mêmes pratiques des plans sociaux d'entreprises bénéficiaires et de rémunération des actionnaires qui détériore le système social et économique. Ni la désindustrialisation forcenée menée à grands coups de délocalisations.  Non, non. Ce qui pose problème c'est la compétitivité. Mais oui, mais oui… Enfin, ça se discute. Explications.

Fourberie approximative

Le principe de la répétition est connu : vous assénez — chaque jour que le marché fait — que le problème français est celui de la compétitivité des entreprises. De partout, en toute circonstance. Que vous soyez un politique, un économiste, un éditorialiste, un patron des patrons, ou un lobbyiste de groupe industriel, le maître mot est : compétitivité. Seulement ça. Uniquement ça. Tout va aller très bien si on permet aux entreprises françaises d'être C-O-M-P-E-T-I-T-I-V-E-S ! Faut vous le dire comment ? TINA : THERE IS NO ALTERNATIVE !

Soit on rend nos entreprises compétitives, soit on crève. C'est comme ça, c'est la mondialisation de l'économie, la concurrence effroyable des méchants asiatiques, des émergents, et il faut s'adapter. En plus, on est le pays qui a le plus de cotisations, pardon, de CHARGES sur les salaires. Donc, vous comprenez bien, ma brave dame, que bon, le reste, là, vos histoires de marchés financiers véreux, de banques qui trichent et fabriquent des produits financiers complexes, d'évasions et de paradis fiscaux, de retraites-chapeau, de plans sociaux de boites qui engrangent des bénéfices gros comme le PIB d'un Etat africain avec des CA équivalents au Portugal, d'un système financier en haute fréquence de type ponzi, c'est pas vraiment le moment, hein.

Parce que chaque intervenant va vous le dire : il y a une reprise ! Oui, une reprise ! La crise est derrière nous, la reprise économique est là, mais on ne la saisit pas, parce qu'on n'est pas…mais oui, vous le savez, allez, un effort : on n'est pas compétitifs ! Voilà.

Un salarié français (qui a payé avec ses impôts de 15%, plus toutes les taxes autour, le renflouement des banques et la politique d'austérité qui permet aux firmes géantes de toujours payer moins de 8% d'impôts, comme pour les grands patrons et autres fortunes françaises), ça coûte cher. Trop cher. Alors qu'un Chinois, un Vietnamien, voire un Bulgare, un Roumain ou même un Allemand, ben ça coûte moins cher. Et c'est plus compétitif. Et là, si demain on arrêtait d'avoir à payer les salariés français avec des cotisations charges sociales pareilles, et bien les profits des entreprises iraient mieux. On n'aurait encore moins de qualité de soin dans les hôpitaux, c'est vrai, il manquerait un peu de cash pour faire tourner les services publics, bon, ok. Parce que les "charges", ça sert un peu à financer la collectivité, un tout petit peu. Mais ce ne serait pas grave, on pourrait tout simplement les privatiser ces services publics (plein de feignants qui en rament pas une, c'est bien connu). Comme les autoroutes, que les Français ont payé durant des décennies, et qui désormais leur ont été volées ont été vendues pour que des entreprises leur fassent payer le prix fort tout en virant un maximum d'employés. Ça, c'est compétitif. Mais regardons de plus près la fameuse compétitivité, en comparaison avec des pays voisins, par exemple.

En Allemagne, ça dump socialement compétitionne fort (mais ailleurs aussi)

Ah, l'Allemagne ! Sa fête de la bière, ses expatriés français qui viennent faire des commentaires élogieux sur leurs salaires d'informaticiens bien meilleurs qu'ici ! Formidable, l'Allemagne. Et surtout : compétitive. Le petit problème des 7 millions de salariés pauvres en mini-jobs à 400€, pour cause de salaire minimum inexistant a déjà été abordé sur Reflets. On pourrait parler aussi des 25% d'Allemands qui n'ont pas de vrai emploi, ni de vrai salaire. Mais les cotisations charges ? Comment sont-elles, les charges, en Allemagne ? Et bien, elles ne sont pas toujours moins importantes qu'en France. Alors ça, c'est un coup dur quand même. Ils sont plus compétitifs, mais ils n'ont pas tout le temps moins de charges ? Ben oui. Tout dépend des secteurs, mais ça se vaut souvent entre France et Allemagne niveau "charges". Petit exemple (source : eurostat) :

Alors, admettons qu'ils sont plus compétitifs en Allemagne que chez nous. Ils peuvent un peu moins "charger" certains salaires, surtout les hauts en réalité. Et d'autres non, comme les salariés avec un salaire de 1500€ ou moins. Il y a même 13,2 points d'écarts en "faveur" des charges françaises pour les salariés au Smic comparées aux allemandes. Mais comment font-ils alors ? Cela mériterait un article entier, mais chacun aura compris que ce n'est pas le coût des charges sur le  travail dans lequel réside la fameuse compétitivité allemande.

La question est surtout : qu'ont-ils en retour, les Allemands ? Pas les entreprises allemandes, qui elles vont très bien (encore merci pour elles), mais la population dans son ensemble ? Et bien, ils commencent à avoir un système public tout pourri. Ça marche de moins en moins bien.Le rail déconne, les routes aussi, comme les crèches, et pas mal d'autres services publics qui commencent à manquer carrément de moyens. C'est très ballot ça : plein de cash qui rentre dans des entreprises super compétitives et un pays qui commence à ne plus pouvoir s'occuper de ses vieux, et se voit obligé d'importer des tombereaux de travailleurs immigrés parce que les Allemandes ne veulent plus faire qu'un enfant virgule cinq ou six. Faut dire que niveau "aide à la famille" et structures pour les petits allemands, c'est un peu cheap chez les super-compétitifs d'outre-rhin.. Sachant que la fameuse compétitivité - dumping social généralisée de l'Allemagne ne va pas durer longtemps, selon de nombreux observateurs, qui craignent que socialement ça coince un peu sous quelques années.

Et puis nos concurrents asiatiques ont fortement l'intention de nous bouffer tout cru, en ayant opéré les transferts de technologies nécessaires pour arrêter de nous acheter ce qu'ils vont bientôt nous vendre. Sans oublier que nous avons désindustrialisé la France à la vitesse grand V, particulièrement ces 10 dernières années. En montant des usines en Asie, pour être plus compétitifs, ah, ah ! La vie est décidément cruelle dans le joyeux monde libéral mondialisé…

La crise, c'est fini , hein !

Récapitulons donc : un seul pays en Europe, l'Allemagne, n'est pas trop par terre d'un point de vue macro-économique, mais son taux de chômage est totalement fabriqué, avec une part de population énorme dans une précarité et une pauvreté digne des pays émergents. Ce même pays a baissé sa dette et ses déficits publics en arrêtant d'investir correctement dans ses infrastructures, ce qui est un signe très inquiétant pour son avenir. Le reste des pays européens rame avec un chômage dramatique, une économie atone dans un contexte international toujours aussi pourri : spéculation à tous les étages, blanchiment et évasion fiscale dans les paradis fiscaux, banques frileuses qui n'ont rien changé de leurs pratiques et investissements publics quasi nuls des Etats qui continuent à pratiquer l'austérité. Cette photographie très simplifiée (mais réelle) de la situation économique, financière et sociale française, démontre quand même une chose : la "crise", en réalité, est plus que jamais là, elle est peut-être même parvenue au stade tant redouté de "systémique",et comme ceux qui l'ont déclenchée sont les mêmes qui viennent nous donner les solutions et sont aux commandes, il y a fort à parier que nous serons compétitifs dans quelques années : comme les Allemands, ou les Hongrois. Quelqu'un a quelque chose contre les Hongrois ? Leur président est un facho qui ne respecte pas la liberté de la presse ? Et alors ? En attendant, son pays, lui, va bien. Et ses entreprises sont compétitives. Et ça, c'est essentiel. Et puis n'oublions pas nos amis américains qui vont bien mieux niveau économie en injectant quand même 85 milliards d'US € tous les mois depuis pas mal de temps.

Avec tout ça, vous comprenez bien que l'unique problème de l'économie française c'est la COMPETITIVITE.

Faut leur dire comment ?

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