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par Jet Lambda

Guéant et Bauer à la chasse aux empreintes faciales

Les contours de la LOPPSI-3, la prochaine loi sur la sécurité intérieure qui devrait donner le ton de la campagne présidentielle, se matérialisent plus nettement. D'abord avec la sortie fort opportune d'un "Livre Blanc" signé par l'incontournable Alain Bauer, et ensuite par le service après-vente assuré en personne par le Sinistre de l'Intérieur Claude Guéant.

Les contours de la LOPPSI-3, la prochaine loi sur la sécurité intérieure qui devrait donner le ton de la campagne présidentielle, se matérialisent plus nettement. D'abord avec la sortie fort opportune d'un "Livre Blanc" signé par l'incontournable Alain Bauer, et ensuite par le service après-vente assuré en personne par le Sinistre de l'Intérieur Claude Guéant.

Au programme, en vrac : inscrire dans la loi un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans, alourdir les peines planchers, exploitation du vidéoflicage pour créer un fichier des "empreintes faciales", traiter les manifestants comme des hooligans, etc.

Ce fameux "Livre Blanc" (doc PDF - bizarrement absent du site du ministère) est en fait co-signé par le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, et Alain Bauer, véritable fou du Roi en matière de sécurité, publique comme privée.

A la fois consultant privé (gérant du cabinet AB Associates) et "bénévole" de l'action publique (il affirme en effet que toutes ses responsabilités au service du gouvernement ne sont pas rémunérées... ben voyons — sa "chaire de criminologie" au CNAM doit le contenter), Alain Bauer est surtout à la tête d'une "bande organisée" qui recrute même jusque dans les rangs de l'ex-groupe d'ultra-droite Occident, qui se réclamait dans les années 60 du "nationalisme blanc et chrétien", farouchement anticommuniste et nostalgique de l'Algérie française. C'est ce qu'a si bien montré le sociologue Mathieu Rigouste dans son dernier ouvrage "Les marchands de peur" (Libertalia, 2011).

Il entretient pourtant toujours un pseudo "paradoxe", résumé dans un papier du journal en ligne Owni: "les ministères de l’Intérieur successifs n’ayant de cesse de faire le contraire de ce qu’il dit, ou de refuser de l’écouter".

Abonné aux émissions de télé comme "C dans l'air" sur France 5 — animé par le journaliste "néoconservateur" Yves Calvi (décrit ainsi dans le bouquin de Rigouste), acolyte de Pernault face au président Sarkozy il y a quelques jours en direct de l'Élysée —, comme de "Ce soir ou jamais" sur France 3, Bauer a en effet le verbe facile et a appris à se démarquer des formules toutes faites de nos gouvernants. Par exemple : il sait que la vidéosurveillance n'est pas une fin en soi, il réclame une étude "indépendante et scientifique" sur son impact réel. Mais il continue en même temps son œuvre "bénévole" au service des mêmes gouvernants. Paradoxal ou tout simplement girouette de luxe, machiavélique et calculateur?

Guéant, lui, pour sa part, a déblayé le terrain  dans un entretien au journal Le Monde  — chacun son tour, Le Figaro n'était pas dispo ce jour-là, sans doute. Dans son explication de texte, il teste la riche idée de foutre un PV aux parents irresponsables. Le couvre-feu total pour les moins de 13 ans n'est pas évoqué, mais ça y ressemble:

Compte tenu de l'incapacité de certains parents à prendre convenablement en charge l'éducation de leurs enfants, il faut que nous réfléchissions avec l'éducation nationale à un dispositif de prévention plus approfondie. (...) C'est pourquoi je souhaite créer une contravention à l'égard des parents qui laissent leurs enfants de moins de 13 ans seuls dans la rue la nuit après 23 heures. Le montant doit être dissuasif : 150 euros par exemple.

Ensuite, coup classique qui ravira Eric Ciotti : "si cela ne suffit pas (...), je souhaite qu'ils s'engagent par la signature d'un contrat de responsabilité parentale, avec suspension possible des allocations familiales en cas de non-respect des termes de ce contrat". Un contrat prévu depuis seulement 4 ans, qui n'a convaincu personne et qu'on ressort du chapeau pour jouer aux Pères La Pudeur (petite piqûre de rappel ici).

Les peines plancher?

Pour l'avenir, il y a le problème de l'effectivité des peines. Il y a aussi matière à poursuivre dans le développement de peines planchers que l'on peut appliquer à d'autres cas que ceux qui sont actuellement prévus.

Il prône donc leur élargissement alors que le bilan  de cette "réforme" de 2007 n'a jamais fait l'unanimité (la timide Union syndicale des magistrats l'a même vertement critiquée dans ce papier de Slate.fr).

Dans le Libre Blanc, le recours croissant aux techniques numériques fait bien entendu partie du paysage. Il est donc question de ce 3ème fichier biométrique d'antécédents, aux côtés du FAED (empreintes digitales) et du FNAEG (génétiques), à savoir les "empreintes faciales" (page 25):

Restructurer les fichiers locaux pour créer un troisième grand fichier de police technique reposant sur l’image du visage : la base nationale de photographies. Développer le recours aux logiciels de reconnaissance automatisée par l’image pour en faciliter l’exploitation et accélérer la résolution des enquêtes judiciaires disposant d’indices tirés de la vidéoprotection.

Ce fichier, ce sera une sorte de "CANONGE 2.0". Le site de la LDH-Toulon a déjà rapporté les propos du chef de la police nationale, Frédéric Péchenard, cet été, sur l'intérêt de ce nouveau fichier d'identification. Qui permettrait, à terme, de reconnaître des personnes "à la volée", sans qu'ils en soient informés.

Plus loin (page 172), il est question de multiplier les croisements de techniques biométriques ("multimodales") pour cerner au plus près les individus — tatouages compris:

... il est souhaitable de rendre les techniques d’identification encore plus précises et réactives, notamment en situation de mobilité, en développant les nouvelles biométries, en particulier au niveau du visage. Le système de traitement des procédures judiciaires (« TPJ ») sera ainsi bientôt complété par un outil de rapprochement des photographies, notamment dans le système CANONGE. ... Il sera également possible de travailler sur d’autres particularités morphologiques et physiques, tels les tatouages.

... Enfin, les indices relevés sur les scènes de crimes étant souvent des traces partielles, notamment en termes d’empreinte digitale, il sera nécessaire, à l’avenir, de combiner ces différentes biométries afin d’améliorer la qualité des conclusions. La combinaison de données biométriques (doigts, visage, iris) est aujourd’hui déjà expérimentée dans certains pays, dans le cadre notamment de la délivrance des titres d’identité. Ces progrès pourront également se traduire, au niveau de l’enregistrement des données et de l'interrogation des bases centrales, lors des gardes à vues, par l’adaptation des bornes existantes en les rendant multimodales (visage, doigts, ADN, iris, voix...).

Quant à exploiter le fichier de la future carte d'identité à puces, ce n'est pas mentionné dans le Libre Blanc (*). Mais Guéant y pense souvent en se rasant le matin. Comme l'a rappelé PCinpact cette semaine, cette nouvelle merveille de la neuropolice française, qui devrait ficher au bas mot 45 millions de "gens honnêtes", pourrait bien être un jour détournée de son usage d'origine pour faire l'objet de "recoupements" à des fins criminelles. Détourner la finalité d'un fichier, rappelons-le, est en soi un délit pénal passible de prison ferme. Pas grave... Même si la CNIL prévient aujourd'hui contre ce fâcheux précédent, Guéant a dit aux députés :

"... la reconnaissance faciale, qui n’apporte pas, à l’heure actuelle, toutes les garanties de fiabilité nécessaires, est une technologie qui évolue très rapidement : on peut donc penser que, très bientôt, elle sera aussi fiable que la reconnaissance digitale."

Au passage, cette future CNIE devrait comporter non pas 2, mais 8 empreintes de doigts. Exactement comme le prévoyait le passeport biométrique — dont la base de données TES communiquera naturellement avec celle de la CNI. Or, qu'a-t-on appris cette semaine du côté du Conseil d'Etat? Il a censuré en partie ces dispositions — 6 ans après le décret... —, notamment le fait  d'enregistrer les empreintes de 8 doigts (au lieu de 2) dans un fichier centralisé. Bizarrement, le Conseil d'Etat n'exige pas la destruction des données ainsi illégalement collectées!

Enfin, l'autre disposition notable du Livre blanc évoque "la mutation des phénomènes revendicatifs" et cible les "perturbateurs habituellement violents". Pour ceux qui suivent, c'est en droite ligne des mesures européennes visant à ficher les "fauteurs de trouble" d'orientation essentiellement "gauchistes", comme nous le révélions ici même.

Gaudin et Bauer s'empressent alors de rappeler un petit détail : "même si la  protection constitutionnelle du droit de manifester impose que les limitations en la matière soient strictement encadrées et motivées". Détail si anodin que la France ne s'est jamais distinguée dans le traitement de choc des rassemblements. Non, jamais.

La proposition du "paradoxal" Alain Bauer est alors exprimée très clairement : ériger des listes de personnes interdites de séjour lors de manifestations. Exactement comme on interdit de stade des supporters de foot réputés violents. Verbatim (pages 150-151):

... il serait utile de faciliter la mise à l’écart du parcours d’individus déjà mis en cause sur la base d’éléments circonstanciés, soit en raison de leur comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations récentes, soit du fait de la commission d’un acte grave à l’occasion d’une précédente manifestation.

Serait transposée à l’ordre public la logique des interdictions administratives et judiciaires, qui ont fait la preuve de leur efficacité pour combattre le hooliganisme lors des manifestations sportives. Le préfet ou le juge judiciaire pourraient donc interdire, par arrêté ou jugement motivé, aux personnes constituant une menace pour l’ordre public de se trouver à proximité d’une manifestation de voie publique, dans un périmètre et un créneau horaire déterminés, et si nécessaire leur imposer de répondre à une convocation au commissariat ou à la brigade de leur domicile à l’horaire de la manifestation.

Les agissements en cause devraient avoir été commis à l’occasion de manifestations de voie publique. Comme pour les interdictions de stade, une interdiction administrative ne pourrait excéder 6 mois. Bien évidemment, les garanties juridiques habituelles s’appliqueraient : procédure contradictoire préalable et droit au recours juridictionnel. (...)

Il conviendrait donc de définir une nouvelle incrimination pour la participation à une manifestation non déclarée ou interdite et de réexaminer le niveau de sanction pour la participation à une manifestation interdite.

Une proposition très sérieuse en ce sens ayant été formulée l'an passée par le très démocratique gouvernement de Silvio Berlusconi.


(*) La CNIE est en phase de création grâce à la loi sur l'identité numérique qui était le 3 novembre en 2ème lecture au Sénat. Les sénateurs ont apparemment rejeté en bloc (à part quelques exceptions) la possibilité d'utiliser le fichier de cette carte à des fins judiciaires. Mais l'Assemblée avait pourtant voté pour... On attend donc l'arbitrage final. MISE A JOUR 26/12/11: l'Assemblée a rétabli la possibilité, le 13/12/2011, de fouiller dans les fichiers des papiers d'identité à des fins judiciaires. Ce qui ne garantit pas vraiment leur "fiabilité", mais ça c'est une autre histoire...

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