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Édito
par Yovan Menkevick

Extrême droite : petite analyse européenne

(L'histoire des fascismes, nationalismes, dictatures, régimes totalitaires ne semble pas suffisante, parce que trop "ancienne" : la conviction que les époques ne sont pas les mêmes fait dire à certains qu'il ne peut y avoir de véritable danger aujourd'hui avec le vote d'extrême droite ou de la droite populiste. Danger pour les libertés, pour les droits de l'homme, la protection des minorités, pour la cohésion sociale.

(L'histoire des fascismes, nationalismes, dictatures, régimes totalitaires ne semble pas suffisante, parce que trop "ancienne" : la conviction que les époques ne sont pas les mêmes fait dire à certains qu'il ne peut y avoir de véritable danger aujourd'hui avec le vote d'extrême droite ou de la droite populiste. Danger pour les libertés, pour les droits de l'homme, la protection des minorités, pour la cohésion sociale. Il est donc intéressant d'observer ce que  sont ces partis d'extrême droite aujourd'hui en Europe, ce qu'ils font concrètement ou proposent.)

Un document, publié par le Réseau européen contre le racisme (ENAR) à Bruxelles en mars 2012, avec le soutien du Programme communautaire pour l’emploi et la solidarité sociale (PROGRESS (2007-2013) et de Open Society Foundations) intitulé "[LES PARTIS D’EXTREME DROITE ET LEUR DISCOURS EN EUROPE : Un défi de notre temps](https://media.reflets.info/doc/20060PublicationFarrightFRLR.pdf)_" permet de savoir plus précisément comment et pourquoi les partis populistes d'extrême droite progressent sensiblement en Europe.

Le début du document précise les caractéristiques de ces mouvements politiques :

Les partis d’extrême droite on trois caractéristiques principales:

1) le populisme, caractérisé par un franc-parler et un discours anti-élite et contestataire,

2) l’autoritarisme, et

3) le « nativisme », c’est-à-dire la combinaison du nationalisme et de la xénophobie.

Certaines précisions sur l'aspect "raciste" ou "xénophobe", au sujet de l'immigration méritent d'être éclaircis puisque le discours a varié au cours du temps et se précise aujourd'hui dans tous les pays d'Europe, France comprise :

L’hostilité à l’immigration a clairement été l’un des leitmotif du discours de l’extrême droite pendant de nombreuses années. Néanmoins il ne s’agit plus tant de maintenir les immigrés hors des frontières que d’avoir un débat public sur la signification de l’intégration. En effet, les populistes prétendent que certains groupes ont une identité culturelle qui ne peut pas être intégrée, vu qu’elle est soi-disant incompatible avec les valeurs libérales. L’hostilité à l’Islam est une autre des composantes principales du discours de l’extrême droite de ces dernières années. Les partis d’extrême droite qui ont remporté les scores les plus importants en Europe en sont arrivés à externaliser leur xénophobie intrinsèque: ce n’est pas « nous » qui sommes racistes, ce sont « eux », les musulmans qui sont la source de l’intolérance.

Sur l'aspect conjoncturel, le rapport établit le lien assez clair entre difficultés socio-économiques et vote anti-immigrés :

La crise offre à l’extrême droite une structure et une opportunité politique à exploiter. Un autre aspect socio-économique est l’idée de la « préférence nationale » qui est associée au « chauvinisme social », refusant le droit à la protection sociale aux « étrangers » représentés comme des parasites s’y accrochant.

La théorie du blanc-bonnet et bonnet-blanc est invoquée de manière systématique, et ce phénomène s'accentue :

Les partis d’extrême droite prospèrent lorsque les partis traditionnels sont arrivés à une convergence en termes de politiques et de pratiques. La convergence permet aux partis d’extrême droite de dépeindre les gouvernements de gauche et de droite traditionnels comme étant fondamentalement « les mêmes » et ils insistent par conséquent sur la nécessité de les confronter à des perspectives alternatives sur des questions telles que l’immigration et l’intégration européenne.

Les sociaux-démocrates européens, anciennement socialistes ont effectués un virage idéologique (la troisième voie de Tony Blair) qui semble être aussi en cause :

En outre, l’adoption par les partis de centre gauche des notions d’une « troisième voie » entre la gauche et la droite a présagé de l’acceptation de la mondialisation néo-libérale, ce qui a permis aux partis d’extrême droite de se présenter comme les seules forces anti-establishment défendant la volonté du peuple.

Sur leur influence dans l'échiquier politique, leurs discours qui varient :

ils sont parvenus à influencer la politique traditionnelle, ils y sont arrivés en partie en faisant clairement le lien entre ces éléments et d’autres thèmes à portée nettement plus nationale.  Ainsi par exemple, le PVV aux Pays-Bas a évité les écueils de la moindre association avec l’Holocauste en adoptant une position forte en faveur d’Israël et des Etats-Unis.

Il faut se rappeler que des pays européens ont été soumis à des dictatures ou régimes militaires très peu de temps avant leur intégration à L'union. Les forces politiques d'extrême droite y sont normalement faibles, mais la crise change un peu la donne :

Pour ce qui est des pays méditerranéens qui ont vécu de longues périodes de dictature (Espagne, Portugal) ou qui ont été soumis à des régimes autoritaires de plus courte durée (Grèce), les partis d’extrême droite y sont apparus dans l’après-guerre mais ne sont pas parvenus à reproduire les résultats de leurs homologues et de leurs prédécesseurs en termes de succès électoral et de stature. Certaines évolutions relativement mineures ont pu être constatées, mais dans l’ensemble, comme l’a résumé un observateur avisé, il est « trop tard pour la nostalgie, trop tôt pour la protestation post-matérielle » (Ignazi, 2003: 11). Le parti d’extrême droite Alerte orthodoxe populaire (LAOS) a toutefois augmenté son score, passant de 2,2 pour cent des voix en 2004 à 3,8 pour cent en 2007, faisant ainsi son entrée au Parlement national grec en remportant 10 sièges (sur les 300). Plus récemment, la crise de l’eurozone a ouvert une nouvelle brèche pour le LAOS et lui a permis de s’intégrer à la coalition gouvernementale non élue en novembre 2011, ce qui est une première depuis la fin de la dictature militaire de 1974. Il est incontestable que la débâcle économique a offert à l’extrême droite en Grèce une structure et une opportunité politique à exploiter, grâce à la pression de l’UE.

Finissons par le Front national en France, et ses électeurs, qui pour une partie sont issus des "classes populaires", c'est à dire le monde ouvrier qui a basculé d'un vote communiste à l'extrême droite, mais qui continue à lutter dans des syndicats :

Pour ce qui est du FN(…)un tiers des personnes se réclamant proches du parti se déclaraient également proches d’une organisation syndicale, ce qui signifierait que les syndicats n’ont pas été capables de résister à la « pénétration » et à la « mobilisation » du FN et que les syndiqués nourrissaient, dans une certaine mesure, des points de vue négatifs à l’égard des travailleurs immigrés…

Pour finir cette "petite analyse" de la montée des extrêmes droites en Europe, un extrait de la conclusion de ce document qui renvoie à une réalité inquiétante, mais résume la situation avec une très grande lucidité :

Une inquiétude généralisée se fait sentir chez les progressistes européens. Ils pensent que tout comme pendant la grande dépression, une crise structurelle du capitalisme, loin de précipiter automatiquement un virage radical de l’opinion publique, risque d’être exploitée avec succès par l’extrême droite, avec un centre droit lui faisant écho en mode mineur. Cela provoquerait non seulement la destruction de ce qui reste du consensus socio-démocrate d’après-45, mais redéfinirait la politique, en des termes schmittiens polarisés, contre l’« autre » immigré/islamiste ennemi, tout en laissant le véritable auteur de la crise, le banquier dans le casino capitaliste de Keynes, s’en tirer sans être inquiété. D’aucuns craignent que les sociodémocrates, à qui il aura fallu des dizaines d’années pour se mettre au diapason des mouvements sociaux émancipatoires des années 60, ne se retrouvent désormais fragilisés, étant donné que leur soutien prolétaire fondamental se sent en quelque sorte rassuré par la propagande « sécuritaire », même illusoire, sur un marché où les protections gagnées de haute lutte ont été décapitées par la réponse soi-disant inévitable à la mondialisation.

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