Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

Et si la croissance économique ne servait à rien ?

Le discours général sur la croissance économique tourne en boucle depuis quelques années accentué par les effets de la fameuse "crise" — qui n'en est pas une — ce que les lecteurs de Reflets les plus assidus savent, particulièrement depuis la publication de la suite d'articles les "origines de la crise".

Le discours général sur la croissance économique tourne en boucle depuis quelques années accentué par les effets de la fameuse "crise" — qui n'en est pas une — ce que les lecteurs de Reflets les plus assidus savent, particulièrement depuis la publication de la suite d'articles les "origines de la crise". Ce discours général sur l'économie de croissance, simpliste, est basé sur un leitmotiv basique : tout irait mieux s'il y avait de la croissance économique, et nous pourrions même résoudre des problèmes graves et récurrents de la société française, comme le chômage, la pauvreté et la précarité. Ah oui ? Sans blagues ? Mais qui affirme ça ? Cela se vérifie-t-il ailleurs, chez des voisins proches, aux économies similaires à la nôtre ?

L'économiste a dit que…

A 1,5 point d'augmentation de PIB annuel, les économies modernes européennes sont censées créer des emplois. C'est l'économiste — n'importe lequel l'affirmera — appelé au chevet des Etats qui le dit et le répète sans cesse. A partir de 1,5% de croissance du PIB, le chômage devrait donc commencer à baisser. C'est formidable. C'est mathématique, mécanique, c'est comme ça. D'ailleurs, vous diront les ténors-experts de la théorie économique néo-classique, regardez les Anglais, et les Allemands.

Ah, bien. Allons voir en premier les Anglais. Ces braves cousins d'outre-Manche ont aujourd'hui 3% de croissance : whaaaa, les veinards ! Et mécaniquement — vous dit doctement l'économiste de l'école de Chicago — et bien, leur chômage est très bas : à peine 6%. My god, ils sont trop forts ces grands-bretons ! Alors, on fait comme eux ?

Taux de chômage pour les nuls

On peut faire comme chez les sujets de leur majesté, sans problème. Mais il va falloir bien prendre en compte certaines données plutôt sensibles, avant. Le chômage anglais est, disons-le, une vaste escroquerie. Sans compter le fait qu'un chômeur anglais est,  niveau prestation sociale — un peu comme une vache qu'on conduit à l'abattoir, puisque son chômage est plafonné à une misère et qu'il ne peut excéder six mois — il faut savoir que près de 3 million de personnes sont en incapacités en Angleterre, et donc inaptes au travail, mais indemnisées, et ne sont pas comptées dans les statistiques… du chômage. Si l'on y ajoute les 800 000 travailleurs clandestins, plus les fameux contrats zéro heure permettant à un chef d'entreprise d'embaucher quelqu'un sans lui garantir une seule heure de travail (le rendant corvéable à merci et en dépendance totale envers cet employeur et donc, sans garantie de salaire), les bons chiffres du chômage anglais sont une vaste rigolade que tout observateur de la chose économique devrait immédiatement arrêter d'utiliser comme facteur positif — lorsqu'il parle d'économie.

Baisse des dépenses publiques : oui, mais…non

Toute la belle politique économique de réduction des dépenses publiques, orientées vers le fameux discours du "on va baisser la dette et le déficit public aussi" a servi aux dirigeants politiques britanniques pour privatiser  un maximum de secteurs, réduire "l'effort" de l'Etat, casser des services publics, déjà moribonds en Angleterre. Ce sont des politiques que l'idéologie hypercapitaliste souvent nommée néo-libéralisme, adore, puisqu'elles permettent à des grands groupes industriels  et commerciaux de "privatiser la vie", afin de réduire le citoyen en client et pouvoir se goinfrer de profits quand ça décolle tout en se faisant rembourser via l'argent public si ça dérape. Chacun connaît ce principe très répandu depuis une quinzaine d'années en Europe.

Regardons donc maintenant où en sont la dette publique et le déficit du Royaume-Uni. Ça ne va pas fort. Pas fort du tout. La dette est encore à plus de 90% (Bruxelles demande 60%), le déficit a bondi à près de 6% (Bruxelles exige 3%). Ahlalalala, mais alors, à quoi bon ? On se le demande, malgré quelques explications assez triviales : à force d'obliger les populations les plus défavorisées à bosser pour des cacahuètes, mais en les incitant à s'endetter, on obtient l'effet suivant : la croissance par la consommation est dopée, d'où les 3% de croissance du PIB, mais les recettes de l'Etat baissent parce que les précaires payent peu de cotisations. Et s'ils sont très nombreux, c'est de moins en moins de recettes qui rentrent dans les caisses de l'Etat. Donc, le déficit et la dette continuent d'augmenter, pas pour cause de trop de dépenses, mais pour cause de pas assez de rentrées.

23% de la population sous le seuil de pauvreté… et l'endettement privé qui explose

Des chouettes chiffres qui devraient inspirer Macron et son chef Valls, comme le grand manitou social-démocrate Hollande : près d'un quart de la population britannique est en dessous du seuil de pauvreté et la dette des ménages s'élève à 170% de ses revenus. Ahahah : amusante économie autant basée sur le secteur tertiaire que la nôtre, avec un volet finance-paradis fiscal au sein de la deuxième plus grosse place boursière du monde — la City — qui repose sur une bulle immobilière et une politique d'expansion monétaire, de rachat de dette par la Banque centrale du coin. Parce qu'en Angleterre, ils n'ont pas l'euro, mais une inflation à 4,5% et aux environs de 15% de la dette de l'Etat rachetée par la Banque centrale. Tout ça n'est pas très glorieux et repose sur des montages un peu bancals, avec des risques très élevés en cas de changement des taux d'intérêts, ce qui — dans le cas d'une bulle immobilière — ne manque jamais de survenir.

Nos amis d'outre-Rhin : précarité et compétitivité à tous les étages

L'Allemagne, cet eldorado dont rêvent tous les patrons français et leurs amis politiciens du PS et de l'UMP… Oui, l'Allemagne a fait des réformes du temps de Schröder (1998-2005).  Ce brave social-démocrate qui s'en est allé bosser pour une multinationale du gaz une fois l'économie de son pays mise au pas. Ces réformes, tout le monde en parle en France, tellement elles ont permis à l'Allemagne d'être compétitive et d'engranger des bénéfices commerciaux extérieurs colossaux. Pensez un peu : 80 milliards par an ! De la croissance économique qui remonte à peine le pays écrasé par la crise financière, un chômage qui descend quand celui de tous les autres pays augmente ! Trop forts ces Allemands. Oui, mais, là aussi, il y a quand même des gros problèmes. Bien plus gros que ceux connus en France. Colossaux les problèmes.

On envoie les chiffres : 30% des retraités sont en dessous du seuil de pauvreté, 3 millions de gamins au même régime : ils vivent au sein d'une famille qui a moins de 880 € par mois. 7,4 millions de salariés sont payés moins de 450€ par mois grâce aux formidable mini-jobs mis en place par Schröder. Le chômage n'existe quasiment plus tellement il est restrictif. Un calcul a été fait récemment en Allemagne :  en 2030, 5 millions de personnes n'auront pas de retraite ou au maximum une pension de 140€ par mois. À 67 ans, parce que les réformes, c'est travailler plus longtemps pour toucher que dalle niveau retraite. La démographie est en cause, le manque d'investissements publics de l'Etat, la politique de compétitivité basée sur des délocalisations partielles vers les pays de l'Est et un… énorme dumping social. Merkel est en train de réfléchir à revenir à une retraite à 63 ans, le salaire minimum s'instaure, et des conventions collectives nationales inexistantes jusque là vont se mettre en place : sinon, ce pays va imploser, et la classe politique le sait. Etre compétitif peut nuire à sa population.

Conclusion : va falloir trouver autre chose, non ?

La croissance économique n'est en rien — aujourd'hui — un facteur d'amélioration économique et sociale des populations d'un pays capitaliste, même parmi les plus riches. Le Royaume-Uni ou l'Allemagne le démontrent bien. Afin de diminuer la dette des Etats, la baisse des dépenses publiques est une voie sans issue : partout où une politique de rigueur faite d'austérité s'installe, la dette augmente. Le chômage est une variable d'ajustement des économies dérégulées, un indicateur bidon de l'état des société post-industrielles puisqu'il est en réalité la plupart du temps au double des chiffres établis. Le modèle hypercapitaliste, néo-libéral est en panne en Europe. Une croissance du PIB sur le vieux continent, insufflée par de grands chantiers, pourrait ralentir la casse sociale, permettre de souffler un peu, mais visiblement pas de rétablir une société prospère composée de citoyens apaisés pouvant se projeter dans l'avenir. Cette société capitaliste harmonieuse, où le travail offre un revenu décent à chacun peut-elle encore exister ? Pas certain. En touts cas, certainement pas si elle est basée sur les seuls critères des taux de chômage officiels faibles et  d'une croissance annuelle du PIB forte…

Il faut trouver une autre voie. Le problème est : qui a envie de la chercher et de la mettre en œuvre parmi les décideurs politiques ?

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