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Édito
par Rédaction

Dis papa, c'est quoi cette bouteille de Reflets ?

Etrange position que celle de Reflets aujourd'hui. Depuis deux ans, nous expliquons très régulièrement que la France a mis au point un système d'écoute des câbles sous-marins qui composent la colonne vertébrale du Net. La technologie, nous l'avions. Avec des entreprises comme Alcatel, Amesys, Qosmos, EADS, etc. Il ne manquait qu'une volonté politique de passer à Echelon 2.0. Celui qui écouterait les flux de data qui circulent dans les câbles du Net. C'est Nicolas Sarkozy qui s'y est collé.

Etrange position que celle de Reflets aujourd'hui. Depuis deux ans, nous expliquons très régulièrement que la France a mis au point un système d'écoute des câbles sous-marins qui composent la colonne vertébrale du Net. La technologie, nous l'avions. Avec des entreprises comme Alcatel, Amesys, Qosmos, EADS, etc. Il ne manquait qu'une volonté politique de passer à Echelon 2.0. Celui qui écouterait les flux de data qui circulent dans les câbles du Net. C'est Nicolas Sarkozy qui s'y est collé. Avec le projet libyen d'Amesys, le gouvernement d'alors a posé la première pierre d'un outil que les Américains avaient déjà déployé chez eux.

Si la technologie existe, elle sera utilisée. C'est le cas. Le DPI existe, les machines sont assez puissantes, tout fonctionne. Elles sont donc utilisées.

Nous l'avons écrit, nous avons interpelé les politiques, les lecteurs, les entreprises concernées.

En vain.

Seuls les lecteurs de Reflets savaient à quoi s'en tenir. Nous avons proposé nos informations à la Justice. Elle n'a pas saisi la balle au bond. Nous avons partagé nos informations avec quelques journalistes. J'ai moi-même publié quelques articles sur le sujet dans le Canard Enchaîné, ce qui a contribué à donner un peu de visibilité à notre "théorie abracadabrantesque", comme nous l'avions ironiquement dénommée. Aujourd'hui, entre les révélations d'Edward Snowden, les reprises des articles de Reflets (quasiment jamais cités) par des supports grand public, les dernières "révélations" de Wikileaks, tout le monde, dans la presse, ose dire clairement ce que nous avions écrit noir sur blanc depuis deux ans : oui, les gouvernements écoutent tout ce qu'ils peuvent et ont définitivement piétiné, à grande échelle, le concept du secret des correspondances.

Comment devons nous prendre ces articles des confrères ?

Il y a plusieurs postures possibles.

L'une consiste à dire : "j'lavais bien dit". Ce qui vous place immédiatement dans la position du prétentieux.

Une autre serait de dire que ces journaux manquaient cruellement de courage ou d'envie d'enquêter puisqu'ils ont attendu que des lanceurs d'alerte sortent des documents pour se lancer. On pourrait aussi souligner le fait que le courage fait encore défaut : lesdits journaux pointent les activités américaines mais peu détaillent, comme nous l'avons fait, les activités françaises dans ce domaine. Ce qui nous placerait dans la position du prétentieux.

Une autre posture consisterait à pointer du doigt tous les journalistes très soudainement devenus des experts incontournables et incontestés de l'écoute massive à base de DPI. Leur dire que s'ils peuvent s'afficher comme tels aujourd'hui, c'est peut-être parce qu'ils nous lisent depuis deux ans et parce que nous avons un tantinet défriché le terrain sur lequel ils évoluent désormais. Leur dire que leur compréhension technique reste bien limitée, ce qui les pousse à écrire des bêtises... Nous serions alors dans la position des donneurs de leçon.

C'est un peu la difficulté d'avoir raison avant tout le monde. Généralement, personne n'écoute le messager qui est un peu trop en avance. Ou alors, d'une oreille discrète. Et soudainement, quelques petits malins tirent les marrons du feu : ils parviennent à donner une grande visibilité au message. Le messager initial est oublié.

On en arrive à l'Ego. Ecrire les deux phrases qui précèdent sont un appel au coup de pied dans l'arrière train : "non mais ça va l'Ego ?".

Oui, ça va, merci.

Car la posture retenue est celle de celui qui se réjouit que ces informations finissent par toucher le plus grand nombre. D'où le partage d'informations avec d'autres journalistes, souvent unilatéral (Médiapart), parfois pas (Jacques Duplessy qui a publié dans Match ou le Point, des articles sur ce sujet tout en nous aidant en retour).

Reflets, un Magazine altero technique d'analyse du monde virtuel #oupas

Ceci étant, il reste une question qui nous interpelle... Pourquoi ne sommes nous jamais cités ? Serions nous face à une cabale organisés par nos confrères journalistes (adeptes de la théorie du complot, bonsoir) ? Serions nous face à de la jalousie à la petite semaine ? Sommes-nous trop en avance? Trop bons ? Ou pas assez ? Faisons-nous peur à nos petits camarades journalistes ? Leur faisons-nous oublier les règles non écrites qui consistent à citer la source d'une information ?

Nous avons donc réuni la sainte rédaction en congrès exceptionnel pour essayer une nouvelle approche de cette question.

Pour nous abstraire de ce débat sans fin opposant théorie complotiste à la bassesse des instincts humains primordiaux, faisons appel à la sociologie. Cette science étudiant les rapports humains nous permettrait-elle de trouver une nouvelle explication satisfaisante ?

Certains sociologues se sont penchés sur une question amusante. Pourquoi un prof de math ressemble-t-il à un prof de math ? Et un prof d'anglais à un prof d'anglais ? Pourquoi un ouvrier ressemble-t-il à un autre ouvrier ? et un PDG à un autre PDG ?

A cette question les sociologues répondent que lorsque l'on rentre dans un milieu professionnel, on en adopte naturellement les codes. Ces codes servent à nous faire reconnaitre de nos pairs et des gens avec qui l'on rentre en interaction. Ces codes se mettent à influer sur notre personnalité, sur notre façon de penser, voire sur notre physique. Un ouvrier travaillant à l'usine, mais adoptant un comportement de cadre, se ferait vite exclure de son milieu. Un patron d'usine s'habillant comme un ouvrier, se rendant au bar à la sortie du travail, et votant communiste, serait vite mis au ban de sa profession.

Un échange se crée donc entre chaque stéréotype de profession et les personnes faisant partie de cette profession. Ces personnes contribuent à enrichir le stéréotype, à le faire évoluer à travers le temps. Mais le stéréotype influe, modèle, sculpte les personnes qui en font partie au point de leur donner des ressemblances allant jusqu'à l'apparence physique.

Revenons-en à notre problématique de départ.

Code is poetry

Nous nous prétendons journalistes, mais avons nous adopté les codes de notre milieu ?

Notre ligne éditoriale est dure à suivre, quitte à parfois exposer publiquement nos différences d'appréciation dans nos publications. Reflets cherche à traiter l'information avec  d'autres méthodes, une autre approche que celles habituellement  utilisées. Cette approche, ces méthodes, sont liées à la culture du  réseau, pas forcément à celles des écoles de journalisme. Et la culture du réseau est foutraque, libertaire, donc basée sur la liberté de chacun. D'où un magazine fait sans organisation hiérarchique, foutraque parfois, mais pertinent et souvent visionnaire, nous le croyons, le tout sans ligne imposée…

Nous alternons donc sans honte aucune, journalisme d'investigation, articles d'humeurs, articles de fond, et réactions à l'actualité. Nous sommes un collectif disparate composé de journalistes, de techniciens, d'activistes. Nous faisons régulièrement des fautes d'orthographe et autres coquilles, comme une insulte faite à la profession. Nous insufflons du Lulz au coeur d'articles sur des sujets très sérieux. Nous passons de l'enquête de fond à la blague de geek...

Et pourtant ...

Nous suivons inlassablement depuis près de trois ans maintenant, des sujets qui vous concernent. Nous avons sorti avant tout le monde plusieurs scoops que ne renieraient pas les journalistes (traditionnels) d'investigation. Nous publions quasiment tous les jours des articles, et nous avons réussi à conquérir un lectorat assez conséquent.

La raisons qui poussent les autres journalistes à nous ignorer de façon presque caricaturale serait-elle à rechercher dans la sociologie ? Casserions nous trop de codes pour êtres admis par nos confrère dans leur tour d'argent ? Devrions-nous, pour être enfin cités, faire une courbette, et venir, le dos rond, présenter nos respects à la profession ?

Une chose est sûre, nous n'adopterons pas tous les codes de la profession. Parce que si certains d'entre nous viennent du journalisme, ils savent ce qui ne fonctionne pas, ce qui ne fonctionne plus. Ils en connaissent les limites. Nous ne retiendrons que les aspects positifs, les méthodes pertinentes. L'avenir nous dira si notre démarche a du sens et a sa place dans le grand bazar informatif, avec en tête, que c'est vous, les lecteurs, qui le ferez savoir. Parce qu'après tout, un journal sans lecteurs, c'est un peu comme un sandwich avec seulement du pain : ça ne sert à rien…

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