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par Antoine Champagne - kitetoa

Cahuzac : un mort, le journalisme à la papa

En prenant connaissance de l'Article du Canard Enchaîné en début d'après-midi hier, Reflets se demandait sur Twitter quelle pirouette Jean-Michel Aphatie allait trouver pour se sortir du très mauvais pas dans lequel il s'est fourré par pure détestation de Médiapart. Première pirouette : pas de réaction du canal historique anti journalistes-qui-n'apportent-pas-les-preuves-de-ce-qu'ils-avancent (@jmaphatie) qui ne fait que donner rendez-vous à ses lecteurs sur son blog, aujourd'hui.

En prenant connaissance de l'Article du Canard Enchaîné en début d'après-midi hier, Reflets se demandait sur Twitter quelle pirouette Jean-Michel Aphatie allait trouver pour se sortir du très mauvais pas dans lequel il s'est fourré par pure détestation de Médiapart.

Première pirouette : pas de réaction du canal historique anti journalistes-qui-n'apportent-pas-les-preuves-de-ce-qu'ils-avancent (@jmaphatie) qui ne fait que donner rendez-vous à ses lecteurs sur son blog, aujourd'hui.

Il faudra donc attendre pour voir ce que le journaliste-qui-lui-apporte-les-preuves-de-toutes-ses-péroraisons-sur-tous-les-sujets-de-l'univers dira.

Patience©, donc.

En attendant, tirons une autre conclusion de l'affaire Cahuzac. C'est un peu capilo-tracté, et éloigné du sujet initial, mais cela vaut le détour, pour le petit monde du journalisme. Ami lecteur, si cela t'amuse, arme-toi de pop-corn, assieds-toi confortablement et observe...

Tout à déjà été dit sur le sujet sauf un détail. Nous allons y venir.

Nombreux ont été les commentateurs du milieu journalistique à opposer les journalistes assis aux journalistes d'enquête. Dans la première catégorie, on trouverait Jean-Michel Aphatie, assis sur sa chaise, au milieu du plateau du Grand Journal (en comparaison avec les petits journaux sans doute). Assis sur sa chaise dans le studio radio de RTL. Assis. Il commente, a un avis sur tout. Et il le donne. D'ailleurs, on le paye (fort cher) pour ça. Pourquoi s'en priver. C'est une sorte d'éditorialiste permanent, capable d'interviewer les bêtes politiques avec des questions qui font mal, celles qui rendent au journalisme ses lettres de noblesse. Jean-Michel Aphatie, c'est un vrai journaliste, encarté, qui pose les bonnes questions, bien entendu, pratique le droit de suite, mais surtout, qui respecte le code déontologique de la presse. Et ça, c'est important. Il dénie donc a juste titre (pense-t-il) la qualité de journaliste à celui qui "affirme sans preuves". C'est du bon journalisme à la papa. Celui que l'on connaît depuis toujours. Celui qui le rassure son audience, ainsi que tous les lecteurs assidus du Figaro.

De l'autre côté, les journalistes qui enquêtent. Ils produisent les informations sur lesquelles rebondissent les journalistes assis. Ils trouvent de nouvelles informations, enquêtent pendant des mois pour les vérifier, les valider, réunissent les preuves tant réclamées par Jean-Michel Aphatie. Ils n'ont pas forcément un avis sur tout et sont généralement spécialisés car il est compliqué d'être un bon journaliste d'enquête pouvant traiter tous les sujets. Ils sont moins "rentables" que les autres puisqu'ils peuvent passer des semaines sans écrire une ligne. Pour autant, leurs "scoops" ont un fort impact médiatique car toute la presse (généralement) les relaye. Cet impact médiatique se traduit aussi financièrement pour leurs supports.

Voilà ce qui avait déjà été dit.

Quant au détail peu ou pas évoqué, le voici.

Doit-on, lorsque l'on est journaliste suivre des "règles" parfois non écrite, parfois écrites, qui visent par exemple à :

  • donner la parole à celui dont on parle (particulier, entreprise, institution, ...),
  • décorer son article avec des fac-similés des "preuves" que l'on a réunies,
  • mettre en scène l'information pour la rendre plus "appétante", plus "vendeuse,
  • ne pas cacher sa qualité de journaliste pour obtenir une information,
  • ne pas profiter d'une situation pour obtenir une information,
  • etc.

Tu l'as vue ma grosse preuve ?

Jean-Michel Aphatie qui fait lui, de son point de vue, du vrai journalisme, décerne des diplômes de bons et de mauvais journalistes. Une digression s'impose : si nous devions délivrer des diplômes de ce genre, nous demanderions instamment aux vendeurs de voitures de retrouver un poste à Jean-Michel Aphatie, le journalisme s'en porterait sans doute mieux. Mais revenons à ses écrits. Pas plus tard que le 20 mars, il publiait un article sur son blog dont une partie, effet Streisand oblige, mérite d'être reproduite ici :

6/ Là-dessus, arrive Médiapart, le site d’informations exclusives qui détient le monopole du journalisme en France. Quelqu’un, mais qui donc, met un limier du site sur la piste de l’enregistrement. Lequel, après trois sceaux d’armagnac, récupère l’objet convoité et le pose en place publique.

7/ Quelle information apporte exactement Médiapart ? Celle ci : un enregistrement circule qui attribue à Jérôme Cahuzac des propos suggérant un compte en Suisse. C’est peu, et c’est beaucoup. Suffisamment pour porter l’ombre d’un lourd soupçon sur le ministre du budget.

8/ Pourtant, Médiapart écrit beaucoup plus que cela. Le site affirme que le dit Cahuzac a géré durant près de vingt ans le compte en question. Qu’il la clôt en janvier 2010. Que les avoirs figurant sur ce compte, combien ? dix euros ? dix mille ? cent mille ? davantage ?, ont été transférés à Singapour.

9/ Sur ces points, contenus au paragraphe 8 du dit procès-verbal que je tape péniblement avec deux doigts, suis pas journaliste moi, greffier tout au plus, sur ces points du paragraphe 8 et seulement sur eux, Médiapart affirme et n’apporte aucun, aucun, aucun élément. Ceci est un problème. Ceci revient à demander aux lecteurs de croire sur parole. Mais on ne croit jamais un journaliste sur parole. On le croit parce qu’il apporte les éléments correspondant à ces affirmations. Ce que Médiapart ne fait pas.

10/ Du coup, immodestement, appuyé sur ma carte de presse indûment obtenue, j’ai puisé en moi l’audace de dire et d’écrire que Médiapart franchissait allégrement des bornes au-delà desquelles il n’y a plus de limites. Que n’ai-je fait camarade ? Du « retourne à l’école » du président du site, au qualificatif de clown utilisé par ses subalternes, les animateurs de Médiapart  ont clairement signifié que toute critique ou question étaient incompatibles avec leur grandeur.

11/ Voilà sans doute l’un des enseignements de cette histoire à tiroirs, et pour cela passionnante. Défenseur acharné de la citoyenneté et de la République, Médiapart affiche une conception restrictive du débat. Soit on est d’accord, soit on se tait. Que le travail fourni suggère des questions, voire nourrisse des critiques, semble totalement incongru aux animateurs du site. De dialogue, il ne peut être question qu’entre gens qui partagent la même opinion. Pour ceux qui ont en désaccord, soit le mépris, soit la délégitimation, retourne à l’école de journalisme, soit l’insulte. Belle conception de la démocratie.

12/ N’allez pas croire que ce comportement me chagrine. Je m’en moque. Et je répète qu’en matière ce compte suisse transféré à Singapour, il manque toujours des preuves. Peut-être. Peut-être pas. Personne ne sait. Pas plus moi que vous, et Médiapart que nous. Et si Médiapart a des éléments, qu’il les publie. Un journalisme sans preuves, c’est comme un yaourt aux abricots sans abricots : une arnaque.

Jean-Michel Aphatie est paradoxalement quelqu'un de plutôt intelligent. Il feint depuis des mois de croire que Mediapartarnaqueur, donc, ne dispose d'aucune preuve dans l'affaire Cahuzac. Pas de fac-similés, pas de preuve. En première lecture, cela peut tenir la route. Si Jean-Michel Aphatie ne disposait d'une énorme audience, ce petit mensonge visant à enduire d'erreur son public serait bénin. Jean-Michel Aphatie sait pertinemment que Mediapart dispose des preuves nécessaires à la publication de ses articles, mais laisse entendre que ce n'est pas le cas puisqu'elles ne sont pas publiées.

Sans prétendre nous comparer à Mediapart qui a sorti bien plus d'affaires que nous, depuis que Reflets a annoncé qu'une entreprise française avait vendu un système d'écoute globale à Kadhafi, nous affirmons une quantité de choses sans jamais publier la moindre preuve.

Nous avons dit que Philippe Vannier, alors président d'Amesys et aujourd'hui patron et premier actionnaire de Bull a versé 130.000 euros au profit du dixième festival mondial des arts nègres. Une forme, sans doute, de sponsoring désintéressé permettant de mettre en avant la culture africaine, l'un des objets de sa société spécialisée dans la surveillance du trafic sur les réseaux informatiques.

Nous avons affirmé sans publier la moindre preuve que les responsables du projet Eagle gagnaient une petite fortune par rapport à d'autres développeurs. Nous avons affirmé sans publier la moindre preuve qu'avec l'accord tacite des gouvernement de droite comme de gauche (François Hollande est justement au Maroc... coucou François), Bull et Amesys continuent d'installer un Eagle à Rabat, avec l'aide de l'entreprise Alten.

Nos informations sont-elles pour autant fausses ?

Disposons-nous de preuves que nous n'avons pas publiées ? Oui.

Pourquoi ?

Parce que cela n'apporte rien.

Au mieux, cela permet à l'auteur de se faire mousser (regardez comme je suis fort, j'ai trouvé LE document magique que personne n'avait trouvé).

Cela sert à "vendre" l'information sur le mode "Document exclusif :  Amesys installe un Eagle à Rabat !" ou "Document exclusif : Bull est détenu indirectement par un fonds au Luxembourg !".

Comme Mediapart, nous avons récolté les preuves qui nous permettent d'écrire ce que nous écrivons en sachant qu'en cas d'attaque sur le plan judiciaire, nous avons toutes les chances de gagner. Car c'est à cela que servent les "preuves" que réclame à grands cris Jean-Michel Aphatie. Elles sont là pour démontrer à un juge, s'il était saisi, que nous, journalistes, avons fait un travail sérieux d'enquête et que ces preuves nous autorisaient à écrire ce que nous avions écrit.

 

Le Billet de Sophia Aram par franceinter

 

Tout cela, Jean-Michel Aphatie le sait. Il sait qu'un journaliste d'investigation n'écrit pas sans preuves, mais qu'il n'est pas "obligé" de publier ses preuves. Oui, on peut croire sur parole un journaliste. S'il raconte n'importe quoi, cela se saura bien assez tôt, devant un tribunal. Bien sûr, la publication de fac-similés aide à mettre en scène, à promouvoir le contenu sur un plan commercial. Mais sans doute au détriment du fond. En professionnel de l'infotainment, Jean-Michel Aphatie le sait très bien. Et sur ce coup, il fournit, lui, la preuve qu'il instrumentalise son audience.

Dans cette affaire Cahuzac, donc, il y a un autre mort, le journalisme à la papa qui veut médiatiser à outrance ses informations en les mettant en scène. Le journalisme qui commente les informations des autres, rebondit dessus, laisse entendre qu'il est à l'origine de révélations alors qu'il s'appuie sur le travail des autres. L'infotainment qui finalement ne fait que prendre les lecteurs ou les téléspectateurs pour des consommateurs.

 

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