Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Fabrice Epelboin

Avec Amesys, Robocop va distribuer des prunes

Il y a des jours où on perd totalement la foi en son propre pays. On a beau expliquer en long, en large et en travers à quel point nos belles technologies nationales sont en train de tuer notre belle démocratie, et comment nous aidons, grâce à elles, les dictatures d'Afrique et du Moyen-Orient à se maintenir en place, il semble que nos concitoyens n'en aient absolument rien à foutre. Collaborer ou fermer les yeux sur la collaboration avec des dictatures sanguinaires serait-il un mal français ?

Il y a des jours où on perd totalement la foi en son propre pays. On a beau expliquer en long, en large et en travers à quel point nos belles technologies nationales sont en train de tuer notre belle démocratie, et comment nous aidons, grâce à elles, les dictatures d'Afrique et du Moyen-Orient à se maintenir en place, il semble que nos concitoyens n'en aient absolument rien à foutre.

Collaborer ou fermer les yeux sur la collaboration avec des dictatures sanguinaires serait-il un mal français ? Comment réveiller le Jean Moulin qui sommeille en Robert Bidochon ?

Il faudrait pour cela toucher non pas à la vie de milliers d'opposants politiques, torturés un peu partout dans le monde arabe, mais à ce que le Français a de plus sacré, ce qui constitue le coeur de son attachement aux valeurs de liberté qui font le socle de notre République : sa voiture, et son besoin irrépressible de se garer n'importe où.

C'est en regardant le passage sur France 2 de l'ami Manach dénonçant l'usage de technologies Amesys dans la traque à l'opposant Libyen que la lumière m’est apparue. Après la diffusion d'un reportage sur le sujet (qui censurait allègrement le dérapage pédophile du directeur commercial d'Amesys, mais bon, c'est France 2, c’est assez logique), le journal de 20h consacrait un autre reportage à une évolution des conditions de travail des forces de l'ordre en charge de distribuer des PV pour stationnement gênant. Désormais, ceux-ci peuvent repérer les véhicules fautifs via vidéo surveillance, lire à distance les plaques d'immatriculations, et envoyer l'amende par la poste. On évitera ainsi, dans un premier temps, aux forces de faire face à des conditions climatiques parfois difficiles et on démultipliera leur productivité.

Après un descriptif très pédagogique des nouvelles méthodes de travail de nos forces de l'ordre, s'en suit l'une des formes les plus abouties du journalisme : le micro trottoir, à la nuance près qu'en guise de trottoir, on interroge notre Français moyen au volant de son bolide.

Et là, surprise (ou pas), autant aider à torturer du dissident, Robert, il s'en fout, autant qu'on l'aligne à chaque fois qu'il se gare sur une place handicapé, ça le révolte.

Robert, au volant de sa voiture laisse éclater son indignation, mais Robert, dont la forme la plus aboutie de technologie qu'il soit en mesure de comprendre est le moteur à explosion mis au point il y a un siècle, ne se doute pas que sous peu, sa voiture sera soumise au même régime que les mp3 de son rejeton : l'automatisation de la surveillance et de la sanction. Car oui, si Hadopi surveille en permanence ce que les gamins téléchargent, il en sera de même pour Robert et sa voiture d'ici très peu de temps.

Marie Pervenche 2.0 : There's an app for that. Mate, un charmant logiciel développé par le non moins charmant Amesys, et dont la brochure commerciale a été mis en ligne avant hier par Reflets, permet très précisément d'automatiser la tâche ingrate qui consiste à distribuer des prunes.

Contrairement à Eagle qui nécessite, pour traquer l'opposition politique et surveiller un pays tout entier, un véritable centre de calcul, Mate tourne sur un PC de base sous Windows XP. Le logiciel est capable, à partir du signal vidéo d'une caméra de surveillance, de détecter un véhicule mal garé et de lire sa plaque d'immatriculation. Il ne manque plus qu'à le connecter au fichier des cartes grises et voilà : plus besoin de forces de l'ordre pour distribuer des amendes, une caméra et un PC suffisent. Le PC est déjà branché à la caméra depuis longtemps, les caméras sont déjà installées un peu partout et vont se multiplier comme des petits pains grâce à la loi Loppsi, autant dire qu’en dehors de la période électorale actuelle, rien ne s'oppose à ce que l'on automatise tout cela au même titre que l'on a automatisé la justice avec Hadopi.

A ceci près que Robert, qui ne comprend rien à Hadopi et à Internet, et qui se fout qu'on saborde des libertés fondamentales dont il ne fait pas usage, va brutalement prendre conscience que la distinction entre virtuel et réel est une idiotie proférée par des gens qui ne comprennent rien au virtuel, et qu'après avoir détruit les libertés de ses gosses et des arabes, les technologies de surveillance ne vont pas s'arrêter en si bon chemin et vont s'attaquer aux siennes.

Pas de chance Robert, il est vraisemblablement trop tard. La Hadopi du code de la route, c'est pour demain. Tout laisse croire que nous auront droit à cela d'ici un an ou deux, pas plus.

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