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par Antoine Champagne - kitetoa

Dassault pointé du doigt pour sa participation indirecte dans la production d'armes au Myanmar

L'ONG Special Advisory Council for Myanmar publie un rapport accablant sur le rôle d'entreprises occidentales

Des sociétés d'au moins 13 pays, notamment d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Nord, ont permis à l'armée du Myanmar de fabriquer des armes utilisées pour commettre des violations des droits de l'homme, estime le SAC-M.

Dassault s'est lancé 10 défis pour un avenir meilleur. Et si on regardait de plus près qui utilise les logiciels de la société ? - Copie d'écran

Un million et demi de déplacés dans le pays depuis février 2021 selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), 70.000 réfugiés au moins dans les pays voisins, un accès à la nourriture et à l'éducation difficile, un travail des ONG et des Nations Unies compliqué, la situation s'avère catastrophique au Myanmar.

La répression de la part des militaires qui ont repris la main après les élections de 2020 est féroce. C'est dans ce contexte que le Special Advisory Council for Myanmar a publié un rapport sur la participation directe ou indirecte d'autres pays à la fabrication d'armes par le complexe militaro-industriel du Myanmar. Dans le lot des sociétés étrangères figure Dassault.

Le rapport, intitulé Fatal Business : Supplying the Myanmar Military's Weapon Production, pointe des entreprises domiciliées en Autriche, en France, en Chine, à Singapour, en Inde, en Israël, en Ukraine, en Allemagne, à Taiwan, au Japon, en Russie, en Corée du Sud et aux États-Unis. Elles sont soupçonnées d'avoir fourni des produits essentiels à la fabrication d'armes au Myanmar par la Direction des industries de la défense (DDI) de l'armée du Myanmar dans des usines de fabrication d'armes communément appelées KaPaSa.

« Des entreprises étrangères permettent à l'armée du Myanmar - l'une des pires au monde en termes de violations des droits de l'homme - de produire un grand nombre des armes qu'elle utilise pour commettre des atrocités quotidiennes contre le peuple du Myanmar », indique Yanghee Lee de la SAC-M. « Les entreprises étrangères et leurs États d'origine ont la responsabilité morale et juridique de s'assurer que leurs produits ne facilitent pas les violations des droits de l'homme contre les civils au Myanmar. S'ils ne le font pas, ils se rendent complices des crimes barbares de l'armée du Myanmar. »

Le rapport s'appuie sur une série de sources, notamment des documents budgétaires ayant fait l'objet de fuites et provenant du ministère de la défense et de la DDI, contrôlés par l'armée du Myanmar, des dossiers d'expédition, des entretiens avec des personnes anciennement associées à l'armée du Myanmar et des preuves photographiques partagées par ces personnes, ainsi que des documents de source ouverte.

Selon les auteurs du rapport, « une partie de la production de la DDI semble se faire sous licence (y compris les licences expirées). Cependant, la situation en matière de licence pour de nombreuses armes actuellement produites dans les usines de KaPaSa reste floue. Qu'il s'agisse de production sous licence ou sans licence, la DDI semble avoir obtenu la technologie et le savoir-faire nécessaires à la production d'une variété d'armes par le biais de divers types d'accords de transfert de technologie (TdT). »

Des logiciels de Dassault utilisés pour fabriquer des armes au Myanmar

Dans la liste des sociétés étrangères, figure le groupe Dassault. Deux logiciels produits par sa filiale Dassault Systèmes auraient été utilisés pour fabriquer un silencieux pour un fusil d'assaut et une antenne pour un drone. Il s'agit respectivement de SOLIDWorks et de CST Studio Suite.

Ces utilisations par le complexe militaro-industriel sont par ailleurs confirmées par un document accessible en ligne. Le compte rendu de la conférence « Science and technology development 2019 » mentionne clairement l'usage de ces deux logiciels pour les deux projets. Contacté, Dassault n'a pas répondu à nos multiples sollicitations (voir Making of).

Utilisation de SOLIDWORKS pour la fabrication d'un silencieux - Copie d'écran
Utilisation de SOLIDWORKS pour la fabrication d'un silencieux - Copie d'écran

Utilisation de SOLIDWORKS pour la fabrication d'un silencieux - Copie d'écran
Utilisation de SOLIDWORKS pour la fabrication d'un silencieux - Copie d'écran

Utilisation de CST STUDIO SUITE 2019 pour la fabrication d'une antenne de drone. - Copie d'écran
Utilisation de CST STUDIO SUITE 2019 pour la fabrication d'une antenne de drone. - Copie d'écran

Le SAC-M recommande aux États identifiés dans le rapport « d'enquêter et, le cas échéant, d'engager des procédures administratives et/ou judiciaires à l'encontre des entreprises dont les pièces et composants, les articles finis et les machines et technologies sont utilisés par la Direction des industries de la défense de l'armée du Myanmar. Les États devraient également adopter des sanctions ciblées contre le KaPaSa, ses dirigeants et son réseau de courtiers identifiés ». Il ne faut sans doute pas s'attendre à grand chose en France. L'imbrication des sociétés travaillant sur des projets militaires et l'État favorise généralement leurs exportations ... A ce titre il avait fallu des années pour que la Justice puisse enquêter sereinement sur Amesys alors que les preuves de son implication dans la vente d'un système d'interception global à la Libye étaient faites.

Il existe un embargo européen pour la vente de produits au Myanmar qui pourraient être utilisés pour la répression de la population par les militaires au pouvoir.

Making of

Nous avons contacté Arnaud Malherbe par téléphone le 18 janvier. Le Director, PR & Comms at Dassault Systèmes n'a pas souhaité répondre à nos questions et nous a affirmé qu'il allait rechercher une personne pouvant échanger avec nous.

Nous avons relancé Arnaud Malherbe le 22 janvier en lui précisant que notre deadline étant dépassée nous allions devoir préciser dans notre article que Dassault Systèmes ne souhaitait pas répondre à nos questions sur l'implication de ses logiciels dans la fabrication d'armes au Myanmar. Nous n'avons jamais reçu de réponse. Pas même pour avancer une excuse de type : « nous n'avons jamais vendu de logiciels au Myanmar, on nous a piraté nos licenses... »

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