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par Antoine Champagne - kitetoa

Amesys : le gouvernement français a validé l'exportation vers la Libye de matériel de surveillance

En début de semaine, les reporters du Wall Street Journal et la BBC se rendaient dans un QG du colonel Kadhafi contenant à peu près tout ce que l’on peut s’attendre à trouver dans un endroit d’où une dictature surveille les opposants. Et, surprise !, la société qui a mis en place un système de surveillance des internautes libyens, à base de Deep Packet Inspection, est française. Elle s’appelle Amesys et c’est une filiale de Bull.

En début de semaine, les reporters du Wall Street Journal et la BBC se rendaient dans un QG du colonel Kadhafi contenant à peu près tout ce que l’on peut s’attendre à trouver dans un endroit d’où une dictature surveille les opposants. Et, surprise !, la société qui a mis en place un système de surveillance des internautes libyens, à base de Deep Packet Inspection, est française. Elle s’appelle Amesys et c’est une filiale de Bull. Cette nouvelle éclipse un peu notre article publié un jour plus tôt et mettant en cause cette fois la société américaine BlueCoat qui a, selon Reflets, installé tout ce qu’il faut pour faire exactement la même chose en Syrie.

Une fois passée la surprise des media, le soufflé devrait retomber, une information en chassant une autre. Nous savions, chez Reflets,depuis des mois qu’Amesys avait proposé ses services au colonel Kadhafi. Nous l’avions glissé de manière « subliminale » dans des articles sur le Deep Packet Inspection. C’est désormais officiel.

Cette information est très instructive sur la schizophrénie du gouvernement actuel puisque l’installation de Eagle, le système d’écoute d’Amesys s’est fait avec l’aval du gouvernement français comme nous allons vous le démontrer.

 

 

Mais reprenons les choses dans l'ordre :

Phase 1) Le gouvernement français est fidèle à sa ligne dévoilée lors des manifestations en Tunisie : Il propose d’envoyer notre savoir-faire en termes de gestion des émeutes. Et même, dans le cas qui nous occupe, il va livrer à un dictateur patenté dont toute l’histoire sur les 40 dernières années montre qu’il est sanguinaire et psychologiquement très instable, un système permettant de dénicher tous les opposants. Via téléphonie, Internet, etc. Nous sommes en 2007-2008.

 

Phase 2) Premier trimestre 2011, l’effet Tunisie marque le gouvernement très profondément. Nicolas Sarkozy prend conscience qu’il a complètement loupé le « printemps arabe ».  Il lui faut reprendre la main. L’Egypte tombe trop vite, et l’effet MAM/Tunisie est toujours là. Arrive la Libye. Nicolas Sarkozy joue son va-tout et décide qu’il va faire plier le méchant Kadhafi. On n’est pas à une contradiction près puisque le même colonel était en 2007 l’invité de choix de Sarkozy Nicolas. On devait lui vendre une centrale nucléaire, des avions Rafale, des armes et quelques autres babioles. Mais tout cela est aujourd’hui oublié, on envoie les avions de l’armée française sauver les opposants au régime. C’est là que ça devient drôle. Revenez en phase 1). Vous vous souvenez, on a donné au méchant colonel les moyens d’arrêter et torturer si besoin les opposants. Oui, oui, les mêmes que l’on va désormais sauver...

Phase 3) On récolte les fruits de notre aide en phase 2) [ouf, les « rebelles »  ne savent pas qu’il y a eu une phase 1)]. Libération évoque un contrat avec les « rebelles » prévoyant que la France récolte « 35%  du brut libyen ».  Mais le gouvernement et le CNT démentent en cœur. Non, non, on n’a pas fait ça pour le business. Sauf le ministre français de l’énergie qui a dit à peu près cela comme le rapporte la presse :

Eric Besson a estimé jeudi sur Europe 1 qu'il ne serait "pas choquant" que la France soit récompensée pour son rôle dans la chute du régime Kadhafi, tout en démentant l'existence d'un accord avec la rébellion libyenne sur le pétrole. "Je vous dis ce qu'a dit le président du Conseil national de transition, le président de Total (Christophe de Margerie), à savoir que non, il n'existait pas d'accord particulier passé", a dit M. Besson. Toutefois, "ce ne serait pas choquant qu'à partir du moment où la France a été le fer de lance (...) de la chute du colonel Kadhafi et de son régime, elle soit aux avant-postes pour la reconstruction et l'activité économique", a-t-il fait valoir. "Il n'y a pas de dû, mais ce serait cohérent. Les entreprises françaises sont d'ailleurs très intéressées et implantées en Libye", a-t-il ajouté.

OK. Maintenant revenons à Amesys et au gouvernement français. A la phase 1).

Pourquoi Reflets affirmet-t-il que le gouvernement français a sciemment donné les moyens (vendu ?, laissé vendre ?) au colonel Kadhafi  de surveiller sa population et de repérer les opposants ?

Parce que comme nous l’avons dit ces derniers jours au fil de nos articles, on n’exporte pas le modèle Eagle d’Amesys comme on exporte un paquet de Carambar. Tout cela est drastiquement encadré. Il faut une autorisation du premier ministre pour exporter les produits d’Amesys.

Le législateur qui n’est pas un manche, a bien compris que porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui c’est mal, et a souhaité encadrer les moyens permettant d’écouter les conversations des autres sans leur consentement.

L’article 226-1 du Code Pénal nous dit ceci :

Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; (..)

L’article 226-3 du même code nous parle cette fois des moyens utilisés.

Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende :

1° La fabrication, l'importation, la détention, l'exposition, l'offre, la location ou la vente d'appareils ou de dispositifs techniques conçus pour réaliser les opérations pouvant constituer l'infraction prévue par le second alinéa de l'article 226-15 ou qui, conçus pour la détection à distance des conversations, permettent de réaliser l'infraction prévue par l'article 226-1 ou ayant pour objet la captation de données informatiques prévue par l' article 706-102-1 du code de procédure pénale et figurant sur une liste dressée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, lorsque ces faits sont commis, y compris par négligence, en l'absence d'autorisation ministérielle dont les conditions d'octroi sont fixées par ce même décret ou sans respecter les conditions fixées par cette autorisation ; (...)

Ah. Je te vois venir ami lecteur, tu te demandes ce qu’il peut bien y avoir dans la une « liste dressée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » évoquée dans l’article 226-3.

Il faut pour la trouver, aller fouiller dans la partie réglementaire du Code Pénal. Aux articles R226-1 et suivants. Notamment R226-3.

Ils évoquent l’arrêté du 29 juillet 2004, fixant la liste d'appareils en question.

Dans l’annexe I de cet arrêté, on trouve ceci :

APPAREILS SOUMIS À AUTORISATION

EN APPLICATION DE L'ARTICLE R. 226-3 DU CODE PÉNAL 1. Appareils, à savoir tous dispositifs matériels et logiciels, conçus pour réaliser l'interception, l'écoute, l'analyse, la retransmission, l'enregistrement ou le traitement de correspondances émises, transmises ou reçues sur des réseaux de communications électroniques, opérations pouvant constituer l'infraction prévue par le deuxième alinéa de l' article 226-15 du code pénal. (...)

 

Dans l’annexe II, on trouve ceci :

APPAREILS SOUMIS À AUTORISATION

EN APPLICATION DE L'ARTICLE R. 226-7 DU CODE PÉNAL 1. Appareils, à savoir tous dispositifs matériels et logiciels, conçus pour réaliser l'interception, l'écoute, l'analyse, la retransmission, l'enregistrement ou le traitement de correspondances émises, transmises ou reçues sur des réseaux de communications électroniques, opérations pouvant constituer l'infraction prévue par le deuxième alinéa de l' article 226-15 du code pénal. (...)

Le produit Eagle de Amesys ne peut donc être possédé ou vendu sans obtenir une autorisation.

Pour ne pas lasser le lecteur, nous irons vite sur ce point. Nous tenons bien entendu à la disposition des sceptiques éventuels les détails (voir pour cela le Journal Officiel n°255 du 3 novembre 2006 page 16265).

En bref, pour vendre un tel produit, il faut une autorisation du premier ministre.

Coucou, François, tu te souviens ? Un jour ou l’autre, tu as signé un papier dans un parapheur, contenant une autorisation pour qu’Amesys puisse vendre au colonel Kadhafi les moyens de surveiller sa population et pointer les opposants. Les mêmes, sans doutes que ceux qui sont réunis ces jours-ci à Paris par « les amis de la Libye », comme toi, ton gouvernement, et ton président.

Bon allez, soyons vraiment transparents, si ce n’est le premier ministre, c’est le secrétaire général de la défense nationale, sur sa délégation, après avis d’une commission consultative.

Oh, on allait oublier, si quelqu’un venait à dire que tout ça c’est vieux et qu’on ne sait pas bien où seraient tous les papiers liés aux autorisations pour Amesys… Il  en existe une copie au SGDN.

Bien sûr, il y aura ceux, comme Amesys, qui nous ressortirons la vieille histoire de la lutte contre le terrorisme pour justifier la vente d'un tel matériel à la Libye. Et ceux qui n'y croiront pas.

A bien y réfléchir, on a bien failli lui vendre des Rafale et une centrale nucléaire. Alors des armes électroniques d'écoute, hein...

Mais ceci est discuté dans un autre article...

 

 

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