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par Antoine Champagne - kitetoa

Amesys et la torture en Libye : la justice s'en mèle. Et après ?

Une information judiciaire est ouverte contre Amesys pour complicité d’actes de tortures en Libye après une plainte de la FIDH, et disons-le, c’est assez logique. Souvenez-vous, les 22 et 26 février 2011, Reflets lançait ce qui allait devenir l’AmesysGate. Sur la base de nos informations, Owni enfonçait le clou et nommait l’entreprise dont nous parlions.

Une information judiciaire est ouverte contre Amesys pour complicité d’actes de tortures en Libye après une plainte de la FIDH, et disons-le, c’est assez logique. Souvenez-vous, les 22 et 26 février 2011, Reflets lançait ce qui allait devenir l’AmesysGate. Sur la base de nos informations, Owni enfonçait le clou et nommait l’entreprise dont nous parlions. Peu après, le Wall Street Journal tombait sur le QG d’Amesys à Tripoli et dévoilait les tonnes de dossiers constitués sur des opposants par les sbires d’Abdallah Senoussi et du colonel Kadhafi. Mais aussi, le logo de l’entreprise Amesys. Le WSJ relevait également (il sera dévoilé plus tard) sur les murs le nom du salarié d’Amesys qui était le contact des Libyens en cas de problème technique : Renaud Roques.

En dépit d’une bonne grosse avalanche de révélations dans toute la presse (voir les articles de Jean-Marc Manach et son livre « Au pays de Candy », ceux de Mediapart sur Ziad Takieddine ) et sur Reflets, rien ne se passait. Le parquet s’était assis sur la première plainte déposée contre Amesys. Les implications de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine n’aidaient pas la justice à faire son travail sereinement. Un juge d’instruction qui ouvrirait le paquet Amesys serait confronté à une véritable boite de Pandore.

 

Amesys, est un pivot du complexe militaro-industriel.

Bull, sa maison mère est au cœur de certains projets humides des services secrets français. Creuser dans ce marigot, c’est pointer des projecteurs sur toute une flopée d’activités qui sont plus coutumières de l’ombre et le silence.

On verra ce que donnera cette instruction. Un procès se tiendra-t-il ? Pour quels motifs Amesys sera-t-elle (peut-être) renvoyée devant un tribunal ? Les salariés (les fameux dix) seront-ils inquiétés ? Sans eux et sans leur empressement, pas de Eagle, pas de vente dans des pays riants. La boite de Pandore sera-t-elle ouverte et tous les maux se répandront-ils sur la terre ? Ou alors, la Justice se cantonnera-t-elle à traiter le cas de complicité de torture en Libye, ne recherchant que la responsabilité de l'entreprise Amesys ? Il y a tant d'autres sujets à creuser et de responsabilités à rechercher, notamment celle de Philippe Vannier, actuel patron de Bull mais, à l'époque, patron d'Amesys et acteur majeur de cette vente à Kadhafi. L'"avenir" post ouverture de l'information judiciaire est détaillé de manière très intéressante par @marcolanie sur Cnis-Mag

 

On pourrait bien entendu se dire qu’avec l’alternance politique en cours, les freins liés à l’implication évidente de la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy dans toutes ces histoires seront levés.

Rien n’est moins sûr.

Fleur Pellerin aux abonnées absentes

Il y a quelques jours, Reflets envoyait les tweets suivants :

La très connectée Fleur Pellerin n’a évidemment rien répondu. Pas plus que l’équipe twitter de François Hollande pourtant si prompte à enquiller les messages en forme de truismes.

Chez Amesys, c’est toujours « business as usual ».

Toutes les entreprises du complexe militaro-industriel qui faisaient des affaires avec cette société et sa galaxie (Elexo par exemple) avant que n’éclate l’AmesysGate, continuent leur petit business, comme si de rien n’était. Les Cassidian, Sagem, Dassault, la DGA, Thales, Alcatel, MBDA, Ineo Défense, le ministère de la Défense, par exemple, ne voient aucune raison de mettre fin à leur petit commerce avec la galaxie Bull/Amesys. Complicité de torture ? Où ça ? Présomption d'innocence, toussa. Et puis, tout ça, c'était de la chasse au pédophile. Rien de plus.

 

 

Le projet d’Eagle au Maroc est toujours d’actualité et Alten participe à l’équivalent de ce qui vaut aujourd’hui à Amesys d’être au cœur d’une information judiciaire pour complicité d’actes de tortures. Au MAroc et au Qatar.

Think twice, Alten…

La société ServiWare, filiale de Bull également, qui a quant à elle fourni le matériel nécessaire à l’implantation du Eagle marocain. Complicité future ? Principe de précaution, toussa. Ce serait mieux d'y réfléchir avant parce que dans quelques mois Philippe Vannier va annoncer qu'il vend ServiWare, comme il a annoncé qu'il vendait l'activité Eagle d'Amesys (salauds de journalistes anarcho-gauchistes qui empêchent de faire du business en rond...).

 

Nos amis du Qatar sont également équipés. Amesys est payée régulièrement par le State Security Bureau pour cela. Le  State Security Bureau est une entité indépendante mise en place en 2003, qui ne rend de comptes qu’à l’Emir du pays et qui lutte, notamment, contre le terrorisme et le blanchiment d’argent sale. Sa latitude dans le choix de ses enquêtes est totale. Une véritable entité démocratique, en quelque sorte.

Chacun sait aujourd’hui la proximité entre Nicolas Sarkozy et les dirigeants du Qatar, mais l’ouverture de la boite de Pandore Amesys pourrait peut-être les faire apparaître sous un jour nouveau.

Avez-vous lu dans un journal français une reprise des informations de Reflets sur le Maroc ? Sur le State Security Bureau ? Sur les quasi 130.000 euros versés par Amesys au festival mondial des arts nègres ? Sur les 3000 euros en liquide opportunément retirés par Amesys en janvier 2011 pour un voyage en Libye alors que la révolution commençait ? Etc.

La liste est longue et montre qu’en dépit de l’ouverture de l’information judiciaire contre Amesys, il reste un long chemin à parcourir avant que toute la lumière soit faite sur cet exportateur du concept de Droits de l’Homme à la française. Ne parlons même pas du processus qui a permis à Amesys (et à Philippe Vannier) de prendre le contrôle de Bull.

Autre sujet de réflexion : à partir de quand peut-on parler de torture ? La Libye, visiblement, selon la justice torturait. Le Qatar torture-t-il ? Le Maroc ? Les Emirats Arabes Unis ?

Un projet Eagle d'Amesys en France : qui en parle ?

Vient ensuite le sujet de l’article 226-1 du Code Pénal pour ce qui est de la France. Car, oui, il existe un projet Eagle d’Amesys en France. Pour quoi faire ? La nouvelle majorité qui nous a vendu le “changement” va sans doute éclairer les Français sur ce point dès demain matin.

 

Et puisque l’on est au cœur d’un sujet passionnant, nous avons une série de questions pour le Président François Hollande, les ministres et sous-ministres concernés, comme Fleur Pellerin :

  • Le gouvernement français autorise la vente de logiciels de surveillance globale des communications en Libye, en Syrie, au Maroc, etc. Continuerez-vous à soutenir ces régimes autoritaires via la vente par la france de technologies de surveillance ?
  • Le FSI a pris des participations non négligeables dans Qosmos et Amesys, deux sociétés qui ont vendu des outils de surveillance à la Syrie et à la Libye. Pensez-vous qu"il faille revoir les méthodes de décision pour les aides apportées par le FSI ? Comment ?
  • Allez vous poursuivre le fichage généralisé de la population Française ou mettre fin a ce projet ? (fichiers policiers, papiers d’identité biométriques, Eagle, etc.).

Pour finir, la bonne nouvelle vient d'Amesys, une fois n'est pas coutume.

Selon Le Monde, "Amesys affirme son souhait de "pouvoir rapidement informer le magistrat instructeur de la réalité du dossier". La société ajoute qu'elle "tient à disposition tous les éléments qui seraient jugés nécessaires par le magistrat pour la parfaite compréhension des faits", sans toutefois détailler ces éléments".

Si l'on est pessimiste, on se dit qu'Amesys va apporter au juge les preuves que les (maintenant) ministres ou ambassadeurs Libyens dont les noms figurent dans le manuel de l'utilisateur d'Eagle fourni aux Libyens étaient des pédophiles. Si l'on est optimistes, ce que nous sommes, Amesys va apporter au juge des informations sur les conditions réelles du deal et les appuis/pressions politiques qui l'ont entouré.

Saloperie de boite de Pandore...

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