Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

12 cigarettes (3)

Partie 3 : volutes Il y a mille et une manière de fumer. La tenue de la cigarette, par exemple. Elle peut se faire entre le majeur et l'index, ou bien entre le pouce et l'index. La main tournée vers le haut ou bien vers le bas. Les bouffées peuvent être rapides et courtes, ou anxieuses ou bien encore longues et apaisées : chaque fumeur crée son univers de fumée avec ses propres règles. Les volutes de fumées ne sont jamais les mêmes. Jamais. Aucune n'est identique.

_ Partie 3 : volutes _

Il y a mille et une manière de fumer. La tenue de la cigarette, par exemple. Elle peut se faire entre le majeur et l'index, ou bien entre le pouce et l'index. La main tournée vers le haut ou bien vers le bas. Les bouffées peuvent être rapides et courtes, ou anxieuses ou bien encore longues et apaisées : chaque fumeur crée son univers de fumée avec ses propres règles. Les volutes de fumées ne sont jamais les mêmes. Jamais. Aucune n'est identique. La sensation change — elle aussi — au cours du temps, et c'est lorsque j'enflamme la septième cigarette qu'une véritable mutation s'opère, pour moi, en moi. La fumée de cette septième cigarette n'est plus la même, mon goût est modifié par l'accumulation des saveurs des six autres et une fatigue commence à se faire sentir. Mêlée d'un apaisement. Je la fume plus lentement. Je sens la fumée s'accrocher dans ma gorge un peu irritée, la chaleur de chaque bouffée est plus intense. Je vois le monde à travers le voile bleu qui sort de ma bouche, il s'efface un peu, s'éloigne. Puis la brûlure caractéristique de la dernière bouffée conclut la septième cigarette. Je sais qu'il me reste moins que la moitié de mon existence. Immanquablement.

*  *

Le médecin se décida à poser la question, il commençait à s'impatienter, tout en sachant très bien qu'il devait en savoir plus. — « Nous sommes-nous déjà rencontrés ? » Elle savait qu'il lui demanderait ça. La sensation de déjà-vu l'avait envahi. Immanquablement. Sa réponse, préparée d'avance, était un élément crucial. — « Non. Mais oui, en quelque sorte. » — Je ne comprends pas. Comme la date de demain. Vous ne m'aidez pas, et je ne sais pas si nous allons… » Il fallait qu'elle l'empêche de se rétracter. Immédiatement. — « Je vais vous l'expliquer, si vous acceptez d'entendre des choses qui pourraient vous paraître délirantes. Et je sais bien que c'est votre métier de traiter le délire, ce n'est donc pas évident pour moi, vous comprenez. Vous acceptez d'entendre mes explications ? » Il soupira. La rampe de leds clignota un peu comme sous l'effet d'une baisse de tension électrique. Le visage de la femme avait changé sous l'effet du clignotement lumineux. Il était plus masculin. Plus acéré. L'inquiétude commençait à s'insinuer en lui, mais sa curiosité était piquée au vif. Le médecin déglutit et lui répondit de la façon la plus posée qu'il pouvait. Il avait eu affaire à des personnes bien plus inquiétantes au cours de carrière, se dit-il intérieurement : — « Bien entendu. Je vous écoute. » — « La date de demain est importante pour lui, et en réalité pour nous, mais c'est lui qui l'a déterminée. Vous comprendrez quand je vous aurai expliqué mieux qui il est, et ce qu'il a fait. Nous ne sommes jamais rencontrés, docteur, et vous pourriez passer le restant de vos jours à chercher — façon de parler — si vous m'avez déjà vue auparavant, et vous n'arriveriez à rien. Le seul problème, est qu'en vous, quelque chose vous dit que vous me connaissez, et — peut-être même — que c'est surtout cet instant que vous connaissez déjà. » Elle avait accentué le "déjà" final, qui fit cligner un œil du médecin. Il pencha la tête de côté : — « Un déjà-vu, vous voulez dire ? » — « Oui, appelons-le ainsi, si vous voulez. Vous connaissez ce moment, vous avez l'impression de revoir la scène, comme si c'était un film, n'est-ce pas ? Ne me répondez pas, ce n'est pas important. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, comme je vous le disais, et pourtant, nous avons déjà vécu cet instant… disons… un milliard de fois ? Il faut que je refasse le calcul. Mais je sais que je dois vous expliquer qui il est. Sinon, ça ne servira à rien. Sinon, nous recommencerons. » Le médecin se sentait très mal à l'aise. Il fit un geste de la main pour lui demander d'interrompre son monologue et lui demanda d'une voix un peu tremblante : — « Je peux prendre quelques notes ? Vous enregistrer ? » — « Tout ce que vous voulez, docteur. » Il sortit un pad, le manipula rapidement, et reprit contenance, un sourire figé sur les lèvres. — « Je vous écoute. » — « Tout a débuté il y a 7 ans, en 2035, au CERN. Il travaillait sur le nouveau C-Quantum. Il était très doué, certainement le plus doué. Vous connaissez les calculateurs quantiques, docteur ? » Il hocha la tête. — « C'était un mathématicien, devenu codeur quantique. Il y a très peu de personnes capables de programmer ces ordinateurs. Très peu. » Elle sentit sa lèvre inférieur se mettre à trembler alors qu'elle finissait sa phrase. L'émotion commençait à l'envahir. Il fallait qu'elle se contrôle. Le médecin tapotait devant le pad. Il s'arrêta et attendit. La fumée de cigarette emplissait l'espace de la chambre d'isolement, quelques dizaines de mètres plus loin.

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